English profiles

Entretien téléphonique, le 9 février  2021

Cet entretien a constitué une première: jusqu'alors je n'avais pas fait d'entretien par Zoom, mais lors de la crise sanitaire, cela a été une manière de parler à quelqu'un à l'étranger et cela a remarquablement bien marché, d'autant plus qu'on a pu se voir!~

 

Willem Boone (WB) : Si vous le voulez bien, je voudrais commencer par une série de citations de pianistes célèbres et parfois de personnes moins connues, mais qui prêtent à la réflexion. Aux Pays Bas où j’habite, il y a un pianiste et un auteur qui a publié un livre où il a rapproché la musique classique de la pratique du Zen. Il a parlé à plusieurs musiciens, il cite entre autres Yehudi Menuhin et aussi une musicienne avec laquelle vous avez joué, Christa Ludwig, qui a dit qu’en musique le plus important est la recherche et que c’est plus important qu’une soi-disant fin ou un résultat en musique. Qu’en pensez-vous?

PC : Pour moi, le concert n’est pas une fin en soi, c’est un élément de notre recherche et de notre travail. Qu’est-ce que c’est, un concert ? Un moment donné dans une salle, avec une acoustique mate ou réverbérée, un public nombreux ou clairsemé, il fait chaud, il fait froid, le piano est inspirant ou non, on est en forme ou pas : ce moment-là ne sera jamais reproduit à l’identique et c’est précisément cela qui fait progresser. De chaque concert on peut tirer un enseignement. Mais la recherche sur l’œuvre qu’on est en train d’apprendre se nourrit aussi de choses multiples, des lectures, des écoutes, la vue d’un paysage, la vie avec un grand V majuscule, avec tout ce qu’elle peut apporter d’informations, de captations, de ressentis. 

WB : Et est-ce que vous êtes conscient de vous rapprocher d’un but quand vous faites des recherches ou quand vous étudiez?

PC : (silence) Le but c’est tout de même que la vérité de l’œuvre apparaisse et qu’on puisse peu à peu s’effacer derrière cette vérité. On apporte beaucoup de soi au début, il y a un côté histrionique dans ce travail préliminaire, on veut alimenter l’œuvre d’idées, de visions, de concepts : ça part d’un principe positif, celui de ne pas se contenter de faire une reproduction photographique où tout serait égal et lisse. Je crois beaucoup à la subjectivité de l’interprète, mais c’est précisément-là un paradoxe intéressant de notre métier : même si l’interprète donne une interprétation originale, personnelle, qui n’appartient qu’à lui, c’est la vérité de l’œuvre qui doit surgir. C’est l’image du compositeur qui doit apparaitre. Sinon, c’est raté ! Nous ne sommes pas des créateurs, en revanche nous devons recréer, car les choses sont là, la partition existe, ce n’est pas nous qui l’avons écrite, mais c’est à nous de lui donner vie. Je songe toujours au beau mot d’Yves Nat : « s’oublier pour que l’oeuvre se ressouvienne ». 

WB : Et vous arrive-t-il que le résultat final ne vous plaise pas, mais que vous vous sentez quand même plus proche d’un certain but, de l’idée que vous avez dans votre tète?

PC : C’est rarissime, ça! (rires), ça arrive si peu dans une vie ! On vit en permanence avec ce hiatus temporel, c’est-à-dire que l’instant de satisfaction relative qu’on pourrait éprouver un jour donné n’est pas le même que celui de la veille ou du mois suivant. Et l’insatisfaction contrebalance largement le contentement, croyez-moi ! Mais je dirais que cette dialectique est à la source de notre joie de faire ce métier. Le but n’est pas d’éprouver une satisfaction personnelle, mais que par moments, le visage du compositeur apparaisse et nous sourie en disant : « ici, ça n’était pas trop mal… »

WB : Cela vous est arrivé?

PC : Très rarement, peut-être sur les doigts d’une main.

WB : Quand même, déjà…!

PC : Vous trouvez ça déjà beaucoup?

WB : Oui, quand même!

PC : Sur une vie, sur 50 ans?

WB : Cela aurait pu être zéro! 

PC : Je parle seulement du sourire du compositeur, pas d’un déluge d’éloges ! Lorsqu’en ces rares moments dont je parle, on pense s’être approché d’une vibration particulière, qui est la synergie du travail artisanal quotidien et de la prise de risque, du lâcher-prise en concert, alors c’est là que réside la justification, l’excitation, et je pourrais dire : la beauté de ce métier. Et jamais on ne se dit pour autant « ça y est, le grand jour est arrivé ! ». Le lendemain, on est de nouveau au travail. 

WB : Il y avait des musiciens comme Solti ou Haskil qui achetaient de temps en temps des partitions vierges pour tout reprendre à zéro, le faites-vous aussi?

PC : Bien sûr ! J’ai gardé pendant très longtemps les partitions avec les annotations de mes professeurs, Merlet, Fleisher, Graf ou Magaloff. Magaloff n’écrivait quasiment pas, mais Merlet écrivait beaucoup, je relis parfois ses indications sur mes vieux volumes des sonates de Beethoven et des oeuvres de Chopin, de Bach, de Debussy. La partition du 1er Concerto de Brahms annotée par Leon Fleisher, c’est une sainte relique ! Et puis, vers l’âge de 40 ans, je me suis reconstitué toute ma bibliothèque de partitions, et j’ai acheté plusieurs éditions des oeuvres principales du répertoire, pour pouvoir comparer les sources, les variantes. 

WB : Mais quand vous retravaillez avec une nouvelle partition, est-ce que vous avez quand même de nouvelles idées ou est-ce que des vieilles idées reviennent, parce qu’elles sont très ancrées en vous ?

RC : J’adore votre expression « vieilles idées », comme on le dirait de « vieux habits » !! (rires). Vous savez, je ne crois guère au concept de la maturité. La perception qu’un interprète de 20 ans a d’une œuvre, il la garde durant toute sa vie. Par la suite il ne fait que se débarrasser des détails superflus pour l’enrichir de son expérience. Si vous écoutez les grands pianistes, Claudio Arrau par exemple : quand il avait 25 ans, quel virtuose extraordinaire il était ! Il ne jouait pas du tout les sonates de Beethoven comme lorsqu’il a atteint 80 ans. Mais on peut tout de même repérer très clairement dans le jeu du jeune homme qu’il était dans les années 30 ce que ma génération a entendu de lui en concert dans les années 70-80 : sa virtuosité sublimée par sa science des plans et de la construction, par le souffle et l’énergie, le coté irréductible de l’interprétation. Tout comme Alfred Brendel. Je suis plongé en ce moment dans les enregistrements de Brendel que Philips a réédités en un coffret de 114 cd, j’ai aussi écouté ses enregistrements des années 50, les premiers pour Vox et de petits labels américains : il est le même dans ses fondamentaux ! Bien sûr que les choses évoluent, heureusement d’ailleurs qu’elles ne sont pas fixées. Le pianiste qui, dans l’histoire de l’interprétation, a le plus changé, au sens où l’auditeur affuté ne pourrait pas le reconnaître avant et après la métamorphose, c’est Wilhelm Backhaus. J’adore Backhaus avant 1940, et je ne l’aime plus guère après. Quelque chose en lui s’est desséché, durci. Je réécoutais ses Brahms des années 30, c’est d’une fraicheur, d’un charme, d’une douceur admirables, et la sonorité est d’une telle beauté ! Les mêmes oeuvres enregistrées après la guerre : c’est raide, sec, coupant, vertical, sans charme ni pathos. Je n’ai jamais pu percer le mystère de ce qui s’est passé chez lui. Ça reste bien sûr un pianiste superlatif, une force de la nature d’une énergie incroyable, mais ce pianiste pouvait être tellement charmeur, même dans ses Beethoven des années 30, il est ahurissant de joie ! Ensuite, c’est le plat pays.

WB : Ses Beethoven de la fin sont très austères, oui. 

PC : Je n’aime pas du tout mais la critique s’est gaussée (et se gausse encore) en parlant de « hauteur de vue », ça m’a toujours fait éclater de rire, une telle surdité devant l’évidence.

WB : Quand vous retravaillez une œuvre, est-ce que vous avez aussi tout d’un coup des idées que vous n’aviez pas avant, qui vous viennent comme ça?

PC : Mais, croyez-vous que ça vienne comme ça :  « Ah, chic, une nouvelle idée aujourd’hui ! » (rires). Non, ça ne se passe pas comme ça. Ce que j’essaie de faire, c’est d’intégrer le plus naturellement possible de nouveaux éléments de réflexion au discours, mais surtout pas pour qu’on dise : «Ah, là, il a une idée !».  L’auditeur n’a même pas à s’en rendre compte, il doit être pris par la narration générale. 

WB : Je voulais dire : en travaillant chez vous que, tout d’un coup, vous avez des idées que vous n’avez jamais eues avant. J’essaie de m’imaginer comment cela fonctionne, l’inspiration..

PC : C’est une question compliquée, je dois réfléchir pour y répondre… Tout d’abord, est-ce que, vraiment, l’interprète a « des idées » ? C’est plutôt le compositeur qui en a pour l’interprète ! Et c’est à lui, l’interprète, de les trouver, de les comprendre, de les remettre en perspective, de les éclairer de sa propre personnalité et de son imaginaire. Pour ma part, j’essaie de plus en plus d’intégrer dans mon jeu la matière orchestrale qu’il y a dans les partitions pour piano, de penser pupitres, timbres des instruments, ce qui peut figurer les vents, les cuivres, les timbales, les pizzicati de contrebasses, les coups d’archets. Le chant, la vocalité m’intéressent aussi. Donc, voilà ce qui aura peut-être pu évoluer, entre une première approche il y a 30 ans et ce que je peux percevoir aujourd’hui. Si l’oeuvre vous parle, si elle vous possède, c’est la vision première et instinctive que vous aurez d’elle qui vous poursuivra toute votre vie, le reste n’est qu’affaire d’éclairages, de respirations, d’élimination des scories, des effets inutiles. En d’autres termes, cela s’appelle l’expérience.

Par exemple, je joue Debussy aujourd’hui d’une manière plus fluide, avec des tempi plus allants qu’il y a 30 ans. Normalement, c’est l’inverse ! Si, lors d’interviews radio, on diffuse des Préludes de Debussy que j’ai enregistrés en 1989, je les trouve toujours trop lents, ça manque de mouvement, de fluidité, l’aspect rythmique de l’écriture de Debussy n’est pas assez présent. Avec Schubert c’est pareil. Je voulais le jouer comme un vieillard en pensant que ça paraîtrait plus « profond » ! C’est une épidémie mondiale (et je n’y ai donc pas échappé !), ces jeunes qui jouent « vieux ». C’est assez ridicule, parce que ni leurs doigts ni leurs cerveaux n’ont d’histoire et de mémoire. C’est une manie de jouer le Brahms juvénile du 1er concerto ou des trois premières sonates si lent, si pesant, alors que c’est un jeune homme de 25 ans qui a composé ces œuvres, cela me rend furieux ! Un pianiste de 80 ans a une histoire, un vécu, une richesse intérieure, une expérience, le son d’une vie de travail et de concerts. Il est stérile de vouloir l’imiter.

WB : Et pour revenir à ma première question, donc cet auteur hollandais qui rapprochait la musique et le zen, il a parlé à des musiciens comme Brendel, Pires, Christa Ludwig, Grimaud et il a dit que d’abord il faut avoir une idée très claire de ce qu’on veut transmettre, ensuite le coté artisanat, la parfaite maitrise technique et puis il dit qu’après cela devient de l’art. C’est une expérience qui vous arrive, il met des ressemblances avec la pratique du judo, le tir à l’arc. Je me suis dit : est-ce que cette représentation n’est pas un peu trop simple? La parfaite maitrise d’un instrument n’est déjà pas une bagatelle, mais là tout d’un coup il y a la sainte inspiration qui vous arrive? Vous avez déjà dit que c’est rarissime que ça arrive?

PC : La performance sportive peut être belle à regarder, elle implique certes un état mental particulier, la maitrise de soi et l’écoute intérieure de son corps. Mais comment peut-on rapprocher le sport de l’art ? Même si le geste de l’instrumentiste se répète des millions de fois dans une vie, même si le côté artisanal du travail quotidien existe, la musique en tant que telle, ce n’est pas une course, pas une compétition, pas un résultat immédiatement attesté ! C’est l’irrationnel, l’immatériel, l’embarquement pour le rêve. L’auditeur imagine ce qu’il veut, il reçoit la musique comme il en a envie. Notre seule action, au moment du concert, c’est d’être suffisamment engagé, habité, convaincu pour transmettre la force et la beauté de l’oeuvre. A partir de là, l’auditeur est libre d’écouter la musique comme il l’entend, si j’ose dire. Je ne vois absolument pas comment on peut rapprocher la création et l’expression artistique d’un Beethoven, d’un Bach ou d’un Wagner d’une performance sportive qui est objective, factuelle, identifiée. 

WB : Mais le concert est une performance aussi, non? 

PC : Oui, mais la performance physique du concert, s’il y en a une, est dépassée, transcendée par la puissance du compositeur sur l’interprète. Je ne suis pas fatigué physiquement par mes concerts, je le suis nerveusement. Quand je donnais l’intégrale Debussy, quatre concerts en une journée, je ressentais un peu de fatigue au moment du quatrième concert, mais après la dernière note, j’étais surtout vidé mentalement.  

WB : Et si vous me permettez une comparaison : moi je fais du théâtre comme amateur, cela fait 30 ans que je le fais, et je suis loin d’avoir votre expérience, mais j’ai quand même joué une centaine de fois dans toutes sortes de pièces du répertoire, et je me suis dit : combien de fois est-ce que j’étais réellement inspiré, là où j’étais vraiment au top? Je pense probablement cinq fois sur cent, et encore, c’est beaucoup je pense. Quand je vous pose la question : combien de fois vous vous êtes dit en rétrospective : « Alors là, j’étais super inspiré? «  

PC : Difficile de répondre, parce que ça ne se passe pas comme ça, vous savez. Dès que je sors de scène, je fais le décompte de ce qui n’a pas marché, les fautes, les ratages, les incidents de mémoire, et tout ce qui aurait pu être mieux réalisé. Même s’il y a des éléments extérieurs positifs -une belle acoustique, un piano inspirant, un public à l’écoute-, sur le déroulement du concert lui-même, le sentiment général est en général négatif. Il est rare qu’on se donne la moyenne. Cela dit, il faut être et rester autocritique jusqu’au bout, c’est indispensable pour progresser. Le contentement de soi, voilà l’ennemi auquel résister. Une excellente antidote, c’est d’aller jouer un programme devant un musicien que vous admirez, en qui vous avez confiance, avec qui vous avez un rapport d’amitié. J’ai besoin de cette écoute critique extérieure. N’oublions jamais que Claudio Arrau, à 83 ans, est allé jouer du Ravel à Vlado Perlemuter, c’est quand même une leçon pour nous toutes et tous ! 

WB : Quelle humilité! Il y a un chef d’orchestre néerlandais, Bernard Haitink, qui a pris la retraite il n’y a pas longtemps. C’est la télé hollandaise qui a fait un très bel hommage, on le voyait chez lui à Londres en train d’étudier une partition et il a dit : «Étudiez vos partitions et si le Saint Esprit arrive, vous êtes dans un bon jour! » Est-ce que ça ce n’est pas plutôt l’idée de « l’inspiration »?

PC : Le Saint Esprit? 

WB : Cette étincelle magique qui tout d’un coup arrive?

PC : Je crois beaucoup à l’énergie du jour, je suis plutôt d’une humeur égale, plutôt positif. En ce moment, ce n’est pas très facile de l’être, mais en général, je suis quelqu’un d’optimiste. J’aime travailler mon piano, jouer, répéter. Je ne m’acharne pas quand ça ne va pas, ça ne sert à rien de passer trois heures au piano  juste pour faire acte de présence et se donner bonne conscience. Mieux vaut lire un bon livre ! La partition me communique sa bonne humeur, sa perfection, son entièreté, ça me donne une énergie dingue ! La partition me dit : « Je suis comme une forêt, à toi de d’y retrouver, de distinguer les arbustes des grands arbres, de deviner les taillis, les petites herbes au sol, et puis regarde comment ce grand tronc va t’aider à aller vers l’autre grand tronc. » C’est fantastique, toute la joie qui part de la partition jusqu’à mes yeux et ensuite à mon cerveau ! C’est peut-être ça, le Saint Esprit! 

WB : Encore une question sur l’idée d’être inspiré sur scène : il n’y a pas longtemps, j’ai entendu deux interviews avec Argerich et Perlman, qui ont dit tous les deux à peu près la même chose : si je monte sur scène, je n’ai pas de plan préétabli. C’est vraiment l’inspiration du moment et je me suis dit : « Oui, ils ont tous les deux une technique superlative.. »

PC : J’allais vous le dire! (rires) 

WB : … ils peuvent faire ce qu’ils veulent et même quand ils ne sont pas inspirés, leur technique est tout à fait au point. J’ai entendu Argerich beaucoup de fois et elle a des ressources illimitées, je ne l’ai jamais entendue non-inspirée, mais est-ce qu’on peut monter sur scène et complètement oublier les longues périodes d’acharnement, de doute, de remise en question, de frustration, d’insuccès, de trac? J’en ai parlé à l’un des meilleurs professeurs de piano des Pays Bas, c’est un monsieur qui a pris la retraite à 85 ans l’année dernière, et lui a dit : « Tout ce qu’on fait sur scène, c’est le fruit de ce qu’on a fait avant, on ne peut pas totalement oublier ce qu’on a fait pour donner libre cours à sa fantaisie. » Qu’est-ce que vous en pensez? 

PC : Je ne crois pas aux salades de Perlman et d’Argerich ! C’est un discours pré-mâché qu’ils balancent depuis 50 ans aux journalistes, et eux opinent du chef et recopient naïvement. Comment ces deux admirables artistes peuvent penser une seconde que les musiciens, eux, vont les croire ? Argerich a 80 ans et elle joue comme si elle venait d’une autre galaxie. Perlman, il prend son violon et vous pleurez d’émotion à la seconde. Vraiment, je les adore ! Perlman a travaillé des milliers d’heures et Argerich, malgré son talent surhumain, c’est une énorme bosseuse. Et on sait comment elle travaille : lentement, elle reprend et reprend et reprend encore, presque sans nuances. Vous savez, même les êtres les plus monstrueusement doués travaillent ! Pour revenir à leur phrase, je comprends ce qu’ils veulent dire derrière la facilité de la formule : sur scène, en effet, on doit lâcher prise, on s’oublie, on prend des risques, on joue sa vie. C’est le moment où l’on ne doit pas se montrer comme l’artisan appliqué du matin. Je n’aime pas qu’on m’écoute répéter ou travailler, je demande qu’il n’y ait personne dans la salle, parce que je dis toujours : « La répétition, c’est l’arrière-cuisine, ça n’a rien à voir avec le concert ». Quand vous allez dans un bon restaurant, vous ne rentrez pas dans les cuisines pour voir ce qu’il s’y passe, avec les 10 ou 20 personnes qui s’activent devant les fourneaux. Vous êtes assis à votre table et les plats que vous dégustez sont des produits « finis ». Le récital, c’est la même chose : un produit « fini » pour le public, mais juste un petit maillon de mon travail. Je joue très rarement une œuvre en entier chez moi. La Sonate de Liszt, je l’ai jouée à peu près 40 fois en concert dans ma vie, je ne crois pas l’avoir jouée plus d’une ou deux fois chez moi. Il me faut l’adrénaline, l’énergie, la concentration du concert, la présence du public, pour me projeter dans les 30 minutes qu’elle dure. Et pourtant, je sais globalement ce que je veux en faire, je connais chaque mesure, chaque note de cette sonate, le facsimilé du manuscrit est ouvert sur un lutrin à côté de mon piano, je le consulte sans cesse. J’ai consacré 4 émissions de Notes du Traducteur à la Sonate de Liszt, j’en connais une centaine d’enregistrements. C’est vous dire si ce chef d’oeuvre m’habite et me poursuit depuis que je l’ai abordé pour la première fois, en 1982. 

WB : Et une autre citation de Nadia Boulanger : « La musique dit ce qu’elle dit elle-même. On accroche à la musique toutes nos émotions, alors que la musique, c’est son langage propre, c’est inné. » Emile Naoumoff a dit cela dans un film sur YouTube.

PC : Et qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ?

WB : Je pense qu’elle a voulu dire qu’on n’a pas besoin d’apporter nos émotions, parce que c’est déjà dans la musique. C’est comme cela que je le comprends.

 PC : C’est quand même très français, toute cette école de pensée a-sentimentale, distanciée, qui refuse l’engagement émotionnel et analyse à n’en plus finir… Au piano, cela donne Robert Casadesus ou Jeanne-Marie Darré, qui jouaient tout pareil, bien clair, tout est là, mais surtout pas d’affects et de pathos ! Franchement, ça ne m’intéresse pas. Tant que cela reste dans des limites et des proportions qui ne dénaturent pas la musique, pourquoi ne pas apporter d’affects ? Vous croyez que Horowitz n’apporte pas d’affects ? Tous les grands pianistes qui me touchent, les Argerich, Arrau, Trifonov, Schiff, Lupu, Kempff, Volodos et tant d’autres… ils ne peuvent pas adhérer à ce type de citation. Richter disait toujours « le texte, tout le texte, rien que le texte ! ». Mais lui, on le reconnait en une seconde, il n’y a pas plus subjectif !

WB : Est-ce que vous connaissez des musiciens qui sont vraiment à l’écoute?

PC : A l’écoute de la musique?

WB : Oui, vous allez me dire : « Tout le monde doit être à l’écoute », mais …

PC : Ah non, il n’y en a pas beaucoup qui le sont ! 

WB : Je sais qu’Argerich a dit que Nelson Freire est quelqu’un qui écoute très bien, mais elle aussi d’ailleurs, quand on la voit jouer avec un orchestre, on voit comme elle tend l’oreille, alors que ce sont des concertos qu’elle a joués je ne sais pas combien de fois!

PC : (rires) C’est un aspect de la musique qu’il faut travailler ! Les pianistes sont une race à part. Il y a ceux qui ne savent pas partager : je pense à Horowitz, qui n’était pas du tout fait pour jouer avec d’autres musiciens, même s’il a eu quelques  belles expériences de musique de chambre quand il était jeune. Mais connaissez-vous ses Dichterliebe de Schumann, en concert avec Fischer Dieskau ? Il déstabilise complètement le chanteur, qui est reparti furieux. Ils avaient beaucoup répété, Fischer-Dieskau était confiant. Et tout ce travail préparatoire a été réduit à néant pendant le concert, car Horowitz s’est mis à faire le show. C’est un exemple extrême, car les pianistes ont ceci de spécial par rapport à d’autres musiciens, ils ont plusieurs cordes à leur arc : solistes, accompagnateurs, chambristes, et dans la musique de chambre, cela va du duo au septuor, octuor… Et que de différences entre le piano à 4 mains et le « deux pianos » ! 

WB : Parmi les chanteurs, il y a des divas aussi, hein, je dirais ?

PC : Oui, certainement, mais je ne travaille pas avec elles, j’ai passé âge ! Natalie Dessay n’est pas une diva, c’est une femme toute simple et une artiste extraordinaire, voilà ! Et Karine Deshayes, tout pareil !

WB : Christa Ludwig n’était pas une diva non plus !

PC : Non plus, mais elle était une mezzo ! Et les mezzos ne sont pas des divas, à part Marilyn Horne et Cecilia Bartoli (rires) !

WB : Comment c’était de jouer avec Christa Ludwig, parce qu’elle est l’une des plus grandes du dernier siècle. 

PC : Vous savez, elle vit toujours ! Elle a eu 93 ans en mars dernier. C’est  une rencontre fondamentale dans ma vie de musicien. Voilà une artiste qui écoute ! En principe, dans ce type de duo, c’est moi qui devrais écouter Christa Ludwig, mais j’étais tout jeune, je n’avais pas beaucoup d’expérience et elle l’a parfaitement compris. Elle a été à la fois une marraine et une guide, sans qu’il y ait jamais de rapport vertical. Elle écoutait et réagissait à tout ce que je faisais : « Là, est-ce que vous pouvez mettre un peu moins de pédale ? Et là, est-ce que vous pouvez tenir un peu plus ? Et ici, jouez plus fort». Une chose aussi que j’ai apprise d’elle plus que d’aucun autre musicien : l’engagement absolu, total au moment du concert, lorsque j’ai eu cette chance de partager la scène avec elle. Vous étiez étonné quand j’ai dit que je joue rarement les œuvres en entier. Eh bien, avec Christa Ludwig, ça a été la même chose : on n’a jamais répété le programme complètement, ça s’est fait le jour du concert. 

WB : Il faut vraiment avoir confiance, là !

PC : C’était comme ça ! Elle est arrivée cinq minutes avant ! J’étais persuadé qu’elle était prise dans un embouteillage. Le concert était à 18h30 au Théâtre de Châtelet à Paris, elle est arrivée à 18h25 avec sa robe sous le bras, elle n’est même pas allée dans sa loge, elle s’est changée derrière un paravent et l’instant d’après, on est entrés sur scène. 35 ans plus tard, je n’en reviens toujours pas. 

WB : Sacrée musicienne! Je m’en veux beaucoup, parce que j’ai raté son concert d’adieux. C’était une soirée où je devais travailler, je m’en veux toujours! Mais j’ai assisté à une masterclass et c’était extraordinaire aussi. Elle avait 87 ans et cela a duré quatre heures et après, elle était déçue : « Zut, est-ce que c’est déjà fini? «, pour une dame de  87 ans! 

PC : Je l’ai revue à Vienne il y a deux ans, à l’occasion d’un récital que Natalie et moi donnions à l’Opéra de Vienne. 

WB : Ce qui m’a beaucoup étonné, c’est sa voix, quand elle parle, elle a une voix de jeune fille, ce  n’est pas une dame âgée quand on l’entend parler.

WB : Et vous avez déjà évoqué Claudia Arrau, qui est un de mes idoles, plus que Horowitz, c’est Arrau qui a dit : « Le pire en musique, c’est la vanité » Êtes-vous d’accord?

PC : Complètement ! Vous savez, cela s’entend tout de suite,  dans le jeu d’un pianiste, la vanité, l’orgueil. J’appelle ça « l’esthétique de l’emphase ». Comme je vous l’ai dit, la confiance doit aussitôt être contrebalancée par le doute, sinon c’est fichu ! La vanité est très difficilement guérissable (rires) ! Mon maitre, Nikita Magaloff, disait : « L’important c’est de toujours travailler, d’avoir le sentiment qu’on a encore quelque chose à apprendre.»

WB : C’est Heinrich Neuhaus qui a dit : « Ne vous cherchez pas en musique, mais cherchez la musique en vous même» 

PC : C’est une phrase magnifique. Le travail de toute une vie.

WB : Nelson Freire a dit : « Le plus important, c’est la sonorité ». Qu’en pensez-vous?

PC : Nelson Freire possède l’une des plus belles sonorités du monde ! Et je suis entièrement d’accord avec lui. C’est toujours ce que dis à mes étudiants. J’ai cette chance dans la vie d’avoir eu des maîtres qui m’ont parlé de la sonorité. Ils étaient très différents les uns des autres, mais que ce soit Magaloff, Erik Werba pour l’accompagnement des chanteurs, Dominique Merlet et Geneviève Joy-Dutilleux au Conservatoire de Paris, Pierre Barbizet quand j’étais encore un enfant : le toucher, l’imagination sonore, la sonorité, la fabrication intérieure de la sonorité sont des éléments constitutifs de votre personnalité de musicien. 

WB : Il a un autre don, parmi d’autres, il peut jouer des fortissimos naturels, il y a des pianistes dont le fortissimo est laid, cela fait mal aux oreilles. Quand lui joue un fortissimo, cela fait trembler le bâtiment, mais ce n’est pas laid!

PC : Arrau faisait cela aussi. Je l’ai beaucoup entendu en concert. L’amplitude de sa dynamique m’a toujours frappé, ce son très orchestral. Je n’oublierai jamais sa Sonate de Liszt, les climax fortissimo, on aurait dit les Grandes Orgues de Notre-Dame, mais c’était Salle Pleyel !

WB : J’ai quelques questions sur Nikita Magaloff, dont je garde un très bon souvenir, une découverte même. C’est par lui que j’ai entendu pour la première fois le 4ème concerto de Beethoven, quand j’avais 15 ans. Quand je pense à ce concerto, je pense toujours à lui. Vous avez travaillé avec lui entre 1984 et 1992? 

PC : Exactement, oui. 

WB : Vous avez dit dans une interview que vous pensez encore aux conseils précieux et déterminants pour votre vie de musicien, à quoi pensez-vous ?

PC : Il a tout de suite vu que je n’avais pas une relation heureuse avec l’instrument. Je bougeais trop, je faisais beaucoup de gestes inutiles qui parasitaient l’expression, l’écoute, l’énergie. Avec lui j’ai appris à être en harmonie avec l’instrument, à être complètement détendu, assis comme il faut. Je repense à sa phrase : « on est tellement au fond du clavier que si l’on pousse le piano, on part avec ! ». Sur YouTube, il y a un 1er concerto de Rachmaninov qu’il a joué à Milan pour la première fois à 79 ans. C’est tout simplement fabuleux, non seulement à écouter, mais à regarder. Une immobilité devant le piano, une économie de gestes mais une puissance colossale dans les enchaînements d’accords ou dans la cadence du 1er mouvement, des fortissimi d’une plénitude ! Et quelle poésie, quel lyrisme, une qualité de toucher, un sens du rubato, de la déclamation, c’est fascinant ! Les autres conseils : ne pas rester en surface, toujours creuser, faire parler les voix intérieures, être attentif à toutes les subtilités de l’écriture sans perdre la grande ligne. Je retrouve souvent cette superficialité chez les jeunes pianistes les plus doués, les plus virtuoses : ils apprennent tellement vite et se satisfont d’un résultat trop lisse, propre, et au fond pas très intéressant. Les interprètes doivent creuser la partition, ce sont des spéléologues !

WB : C’est impressionnant, le monde que Magaloff a connu : Siloti était son premier professeur, Prokofiev était un ami de la famille, il a côtoyé Ravel, Rachmaninoff, Stravinsky. C’est un rendez-vous avec l’histoire!

PC : Et le grand violoniste Joseph Szigeti a beaucoup compté pour lui. Magaloff a été son accompagnateur dès l’âge de 18 ans, ils ont fait le tour du monde, ils sont allés en Australie, au Japon. Cela lui a permis d’apprendre la totalité du répertoire pour violon et piano. La rencontre de Ravel quand il avait 12 ans, c’est son père qui écrit à Ravel, tout bêtement. Et Ravel, après quelques leçons, conseille à Monsieur Magaloff père de présenter Nikita à Isidor Philipp, le célèbre professeur du conservatoire. 

WB : Il disait qu’il tenait de Ravel l’idée d’orchestrer son piano. Est-ce qu’il vous en a parlé aussi?

PC : Tout le temps ! Merlet me parlait aussi beaucoup de l’orchestre. Quand on travaillait Beethoven et Brahms, les références à l’orchestre venaient aussitôt dans son cours. Pas seulement l’orchestre d’ailleurs, mais aussi les chefs d’orchestre. Il parlait souvent de Furtwängler et de l’Orchestre de Berlin, de Bruno Walter, de Wilhelm Mengelberg… Et il fallait écouter les pièces symphoniques de Ravel et de Debussy dirigées par Pierre Monteux, Charles Munch et Paul Paray.  Tout cela vous forme l’oreille et le goût ! Magaloff n’a fait que prolonger cet aspect-là de l’enseignement. Je note au passage que j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui étaient d’admirables pianistes. Barbizet fascinait le gamin de 9 ans que j’étais lorsqu’il se mettait au piano pour me jouer une sonate de Mozart. Merlet jouait tout, souvent par coeur, et il pouvait lire à vue les choses les plus compliquées. Je me souviens notamment qu’il a déchiffré devant la classe stupéfaite un Klavierstück de Stockhausen que j’étais en train d’apprendre. C’est un pianiste au répertoire gigantesque, et aussi un merveilleux organiste. 

WB : Il y a une lignée très directe entre Magaloff et Chopin.

PC : En effet : par son maître au conservatoire, Isidor Philipp, qui était élève d’un disciple de Chopin, Georges Mathias. 

WB : Cela explique sa grande affinité avec Chopin!

PC : Oui, mais cette lignée affirme un Chopin assez classique, proche de celui d’Arthur Rubinstein, et différent de celui professé par Cortot ou Raoul Koszalski. Magaloff parlait toujours de la forme chez Chopin. Il parlait évidemment du sentiment, de l’expression, du raffinement, de la vocalité chopinienne. Mais il défendait un Chopin héroïque et solidement construit. Il me disait toujours de ne pas m’égarer, de respecter la structure chez Chopin, qui est claire et s’inspire des modèles de l’époque classique.

WB : J’ai l’impression que l’histoire est un peu injuste envers Magaloff, j’ai l’idée qu’on ne connait plus beaucoup de lui, il faisait partie de cette série « Grands pianistes du XXème siècle » mais mis à part son intégrale Chopin, il ne reste plus beaucoup de cd. J’ai un peu l’idée qu’on garde de lui l’image d’un pianiste virtuose, très élégant, qu’on a un peu oublié?

PC : Vous avez peut-être raison, mais il y en a tellement d’autres que l’on a oubliés ! Qui reste dans la mémoire collective ? Rubinstein ? Horowitz ? Gould ? 

WB : Oui, mais on se souvient plus d’eux que de Magaloff, j’ai l’impression !

PC :  Il faut relativiser. Les périodes de purgatoire existent pour tous les interprètes, comme pour les compositeurs. Voyez l’exemple de Schubert… Mais je ne sous-estime pas l’empreinte que Rubinstein a laissée, la personnalité charismatique d’un Horowitz, la légende construite autour de Glenn Gould… Magaloff était un immense artiste, dont le répertoire était encyclopédique. Sa carrière l’a mené sur tous les continents, il donnait son récital annuel à Paris sans trop aller dans d’autres villes françaises, mais il jouait avec tous les grands orchestres de la planète et tous les chefs qui comptent. Pour Philips, il a non seulement gravé l’intégrale Chopin, mais également les 6 Etudes-Paganini de Liszt couplées avec un Carnaval de Schumann d’anthologie. Quelques années plus tôt, ses Goyescas de Granados suscitaient l’admiration d’Alicia de Larrocha. Il faut être reconnaissant à Yves Petit de Voize et Alain Lompech d’avoir convaincu André Furno, le programmateur à Paris de la série « Piano 4 étoiles » d’engager Magaloff en 1986 pour jouer l’intégrale Chopin en six récitals. Il avait 74 ans, et cette intégrale a été unanimement acclamée. Les récitals étaient d’un niveau extraordinaire, je les ai piratés et j’ai reporté sur des CD les Etudes op.25 exceptionnelles, des Préludes op.28 fulgurants. Le dernier récital (de l’opus 55 à 63) était inouï, d’une telle perfection, et plein d’énergie, d’inspiration, de fougue, de poésie. A partir de là, il a joué partout en France. Je l’ai suivi là où on l’invitait. C’est d’ailleurs en assistant à son récital donné en 1986 à Piano aux Jacobins que la directrice du festival, Catherine Dargoubet, m’a blacklisté à vie, car elle n’avait pas supporté que je sois aux côtés de Magaloff durant cette journée et jusqu’au restaurant après le récital. Voilà à quelles raisons dérisoires et minables tiennent des rancoeurs de 35 ans ! J’ai pitié d’elle. 

WB : Il a dû être un remarquable professeur aussi : je trouve toujours géniale cette remarque quand il a parlé à Madeleine Lipatti, qui s’était plainte de Martha Argerich qui a son avis jouait tout trop vite, elle avait dit : « Mais ma petite, ne voulez-vous pas qu’on vous aime ? Vous jouez comme si vous étiez sur un radeau en pleine tempête » et la réponse de Magaloff était : « Mais Madeleine, il ne faut pas brider un cheval de course ». 

PC : Absolument !

WB : Cela prouve qu’il avait bien compris la nature de ses élèves !

PC : Il aimait les personnalités, quitte à être quelquefois très critique et sévère, mais il préférait être surpris !

WB : Est-ce qu’il avait un peu la réputation d’être un docteur qui pouvait aider des pianistes qui avaient des problèmes techniques? 

PC : Oui, il disait (en imitant la voix du pianiste) : « Je suis comme le médecin de famille, je soigne les petits bobos ».Tous les pianistes défilaient chez lui pour lui jouer quelque chose : Pollini, Perahia, Catherine Collard, Alexander Lonquich, Zimerman, Dalberto, et des dizaines d’autres. Il avait une merveilleuse oreille. Et il mettait en confiance. J’ai toujours eu le trac devant mes professeurs, mais pas devant lui, j’aimais jouer pour lui. 

WB : C’est vrai qu’il était un prince?

PC : Oui, sa famille était d’origine géorgienne : Magalachvili. Elle avait été appelée au milieu du 19ème siècle à rejoindre la cour du tsar à Saint Petersbourg et c’est là qu’elle a été anoblie. 

WB : Vous avez fait une émission sur lui,  je suis tombé dessus il y a quelques années, c’est vrai qu’à la fin de sa vie il projetait jouer l’intégrale Schumann aussi?

PC : J’ai assisté à son dernier récital, un mois avant sa mort (le 26 décembre 1992). C’était à Milan, à la Societa dei Concerti. Il présentait le premier de sept récitals de l’intégrale pour piano de Schumann. Il se savait condamné, parce qu’après deux cancers dont il avait guéri, cette rechute l’avait épuisé et il avait décidé de ne plus se battre. Mais il projetait de jouer tout Schumann ! Voilà la réponse qu’il faisait à la maladie ! Dans ce programme, il y avait les Variations Abegg, les Papillons, les Etudes Paganini, les Intermezzi, les Davidsbündlertänze, bref, un programme gigantesque. J’étais assis à côté de sa femme, Irène. La première partie ne s’est pas bien passée, il était à bout de forces. A l’entracte, sa femme a essayé de le raisonner, mais il refusait d’abdiquer. Il voulait jouer jusqu’au bout. L’entracte a duré plus d’une heure, il a dormi un peu, il a pris un remontant, et il est revenu pour des Davidsbündlertänze d’une vitalité extraordinaire. Ça a été son chant du cygne. 

WB : Je ne suis pas sûr, est-ce que Ciccolini a été un de vos maitres?

PC : Non, mais j’ai bien connu Aldo à partir de 2000, c’était un cher et proche ami.

WB : Avec lui, c’est un peu la même chose qu’avec Magaloff, j’ai l’impression que l’histoire ne lui rend pas tout à fait justice, parce qu’on voit un peu en lui un dénicheur de répertoire inconnu et celui qui a mis Satie à la mode, il jouait Scarlatti quand personne n’en jouait, Mompou, Kabalewski, il avait un répertoire immense.

PC : Énorme ! Il a participé à la quatre-centième émission de ma précédente émission, « Notes du traducteur » et cela a été sa dernière apparition publique. Il est mort trois mois plus tard. Cette émission était très émouvante : on enregistrait dans  le domaine viticole mythique de la Romanée-Conti, au coeur de la Bourgogne. Ciccolini avait joué la sonate de Grieg d’une manière somptueuse. Mais quand je l’ai vu arriver dans la salle où était le piano, j’ai pensé qu’il n’allait pas pouvoir marcher, il tenait à peine sur ses jambes. Mais au piano : un lion ! Et pas une fausse note !

WB : Jusqu’à la fin de ses jours!

PC : Incroyable! 

WB : Il a connu un très bel été indien à la fin de sa carrière, je pense que c’est Pollini qui a dit qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait?

PC : Je ne suis pas tellement d’accord, il donnait énormément de concerts, partout dans le monde, dans les années 60,70 et 80. J’ai entendu son récital à la Roque d’Anthéron le jour de ses 85 ans. Il y avait au moins 30 pianistes sur les gradins, et tous étaient sidérés. D’abord c’était un énorme programme avec une heure de Chopin et une heure de Liszt, les paraphrases de Rigoletto, de Simon Boccanegra, et d’Aida, et il jouait cela avec une aisance, une tenue, une grandeur impressionnantes. Et là aussi, une perfection, c’était complètement dingue. Il a ajouté cinq bis ! 

WB : C’était un vieux sage aussi, n’est-ce pas? 

PC : Oui et un travailleur acharné ! Il passait ses journées et ses nuits au piano.

WB : J’ai compris qu’il était insomniaque, donc il avait encore plus de temps!

Vous avez déjà un peu parlé de votre maitre Dominique Merlet, vous avez écrit sur Facebook qu’il venait de sortir un disque Beethoven que vous avez beaucoup loué. J’ai l’impression que c’est quelqu’un de très discret, c’est vrai?

PC : Oui, Merlet a consacré beaucoup de temps à ses élèves, à sa classe au Conservatoire de Paris et ensuite à Genève, et il n’a peut-être pas eu la carrière à laquelle il avait peut-être rêvé. Je l’admire beaucoup comme pianiste, organiste, comme sage et homme de culture. Il a ouvert tellement d’horizons à ses élèves. Quand il a été nommé au conservatoire en 1974, il était le plus jeune des professeurs de piano. En 1974, enseignaient encore Jean Doyen, Lélia Gousseau, Raymond Trouard, Lucette Descaves, c’est vous dire qu’il y avait un sérieux besoin d’air frais dans cette auguste institution ! Il a fait entrer la musique contemporaine dans sa classe, Bartok, Schoenberg, Stockhausen, Boulez, Webern… il a fait jouer du Schubert à ses élèves. Aucun autre professeur ne faisait travailler du Schubert ! Il parlait des cantates de Bach, de l’orchestre, il avait beaucoup réfléchi à la technique de piano, il s’est inspiré de l’école russe, on travaillait aussi les exercices de Brahms. Je ne suis pas sûr qu’il était fait pour mener conjointement une carrière internationale de concertiste, passant d’une ville à l’autre comme Ciccolini, qui donnait 120 concerts par an et était trop souvent absent du conservatoire de Paris. Merlet n’était jamais absent, on avait son cours hebdomadaire avec lui, à de très rares exceptions près. Mais vous savez, seul le legs compte, ce qu’on laisse aux générations suivantes. Et sur ce point, Dominique Merlet restera à tout jamais. 

WB : J’ai quelques questions concernant Debussy, qui doit être cher à votre cœur pour avoir enregistré l’intégrale. Est-ce que c’est une musique dont vous vous êtes imprégnée dès votre tendre enfance?

PC : Absolument, les premiers morceaux un peu sophistiqués que j’ai pu jouer étaient Le petit berger, Doctor Gradus et Parnassum, et la Danse de la poupée de La Boite à joujoux, j’avais 6 ou 7 ans. J’ai tout de suite adoré cette musique.

WB : Est-ce que sa musique est un pain quotidien au conservatoire, par exemple à Paris?

PC : La musique de Debussy doit être le pain quotidien de tous les pianistes de tous les pays et de tous les conservatoires ! Cela fait partie des choses essentielles à posséder dans son jeu de piano. Au conservatoire de Paris, oui, tous les professeurs font travailler les Préludes, les Estampes, les Images, les Études. 

WB : Quelles qualités un bon interprète doit-il posséder selon vous ? 

PC : Pour Debussy ? Un toucher le plus varié possible et un art de la pédale extrêmement raffiné, ce qui signifie, pour l’un comme pour l’autre, une écoute très poussée, très exigeante, pour créer des couleurs, provoquer des étagements de plans sonores, parvenir à fondre des accords entre eux sans perdre en clarté etc. Etre sensuel, aimer caresser le clavier, aller au-delà de l’enseignement académique, inventer sa propre technique debussyste. Et enfin avoir de l’imagination, beaucoup, essayer de retrouver un peu de la créativité de Debussy, tout ce qu’il transforme en sons de la nature, des danses, des pays lointains. Le rêve est toujours présent dans sa musique. Parfois, il faut oser créer des sonorités qui paraitraient un peu sales, noyées dans la pédale, mais qui peuvent produire des sensations très intéressantes pour l’auditeur. 

WB : Dans quelle pièce par exemple?

PC : « Voiles » , le deuxième Prélude du premier livre. Je le joue avec trois coups de pédale, une pédale pour les 37 premières mesures, sans jamais relever, jamais, jamais, parce que c’est une écriture de gammes par tons et donc vous n’avez ni tonalités ni modulations, c’est un empilement continu de motifs. Si vous gardez la pédale sans jamais relever le pied, en ayant un contrôle absolu de votre toucher et de l’écoute, vous pouvez créer un halo sonore magique. C’est délicat, il faut du temps pour maîtriser tous ces paramètres, mais cela vaut la peine. Cela va tellement à l’encontre de tous les enseignements ! Dans quel morceau garde-t-on la pédale pendant 37 mesures ?  

WB : Et c’est voulu par Debussy?

PC : Ça peut l’être ! Je trouve que cela célèbre la modernité de ce Prélude. Debussy a complètement révolutionné l’art d’écouter le piano.

WB : Que pensez-vous de pianistes légendaires, non-français comme Michelangeli, Arrau, Ciccolini, Gieseking, Kocsis, Zimerman, Egorov, arrivent-ils à capter l’essence de Debussy aussi bien qu’un pianiste français?

PC : (rires) Je vais vous répondre, cher monsieur, que la plupart des pianistes qui me touchent et m’intéressent dans Debussy ne sont pas français ! Vous en avez oublié trois quand même : je pense que Richter est un des plus fascinants. 

WB : Mea culpa! Ce n’était pas exhaustif !

PC : Je pense aussi que les douze ou treize pièces qu’a jouées Horowitz sont inégalables de légèreté, de subtilité, c’est juste féérique. J’adore les Debussy de Gieseking d’avant la guerre, ceux qu’il a enregistrés à l’âge de 30 ans, prodigieux de fantaisie et d’aisance. Un toucher sublime. Les enregistrements des années 50, j’aime moins, Gieseking ne se pose plus trop de questions et cela devient approximatif. Michelangeli, je l’ai entendu jouer les deux livres de Préludes en concert et c’était un événement incroyable dans ma vie. Mais on ne retrouve pas cela dans les disques DG, je trouve son Debussy désincarné, hiératique. En concert, il était capable de pianissimi avec 8 P ! Dans ses disques, on ne trouve pas cette magie, c’est toujours un peu fort, un peu lourd et démonstratif. J’ai un souvenir exceptionnel de Radu Lupu en concert, un nouveau monde sonore s’ouvrait, avec des couleurs inouïes. J’ai beaucoup entendu Richter jouer Debussy, je lui ai tourné les pages pour L’Isle joyeuse : elle n’était pas du tout joyeuse, son ile, plutôt une ile du désespoir, une bacchanale glauque… Et je pourrais citer d’autres pianistes que Debussy a heureusement inspirés : Dino Ciani, Youri Egorov, et le tout jeune vainqueur du Concours Chopin 2015, le Coréen Seong-Jin Cho, merveilleux. 

WB : Et parmi les pianistes français?

PC : On a quand même oublié trois pianistes français qui jouent magnifiquement Debussy : Samson François, Marcelle Meyer, tous deux très inventifs. Et puis, dans un autre genre, plus poétique et intimiste : Monique Haas. En revanche, je n’aime pas du tout Robert Casadesus.

WB : Pourquoi?

PC : Je le trouve sec, brillant, absolument pas sensuel, dénué de toute empathie sonore… Une certaine critique continue de trouver cela extraordinaire, mais c’est une caricature de la musique de Debussy. Aucun mystère, aucune magie, le toucher digital est toujours le même d’une pièce à l’autre. 

WB : Et pour les Préludes, à quel point est-il important de prendre les titres comme point de départ? Je me suis toujours dit, par exemple « Des pas sur la neige » ou « Le général Lavine-Eccentric », faut-il avoir un sens du pictural ou peut-on simplement commencer par les notes ?

PC : Debussy ne se contente pas d’écrire « Des pas sur la neige » à la fin de la deuxième page, il écrit au tout début : « Ce rythme doit avoir la valeur d’un paysage sonore glacé ». C’est déjà de la poésie ! Et aussi, plus loin :  « comme un tendre regret ». Et en même temps, quelle élégance, quel savoir-vivre de placer le titre à la fin, avec trois point de suspension ! 

WB : Est-ce que vous visualisez vraiment le titre ou non?

PC : C’est-à-dire qu’il est difficile de ne pas être aussitôt envahi de souvenirs visuels des tableaux de Whistler, Monet, Redon, Degas ou Turner ! C’est son univers et son imaginaire. A l’interprète ensuite de recréer ce monde. 

WB : J’ai encore quelques questions concernant votre disque Beethoven/Liszt : la neuvième symphonie. J’ai vu votre concert il y a deux semaines je pense que c’était un véritable tour de force, admirablement fait. Qu’est-ce qui vous a amené à enregistrer cette version?

PC : Pour plusieurs raisons : la première est que Cédric Pescia et moi trouvons cette version bien plus réussie que la version à deux mains, qui est postérieure. Liszt, quand il écrit cette transcription, pense « deux pianos » et non « deux mains ». La manière dont il fait se ré-approprier l’orchestre par les deux pianos, dont il distribue les pupitres, les plans sonores, le travail qu’il a réalisé à partir de la partition d’orchestre est simplement prodigieux et très convainquant. Il était un transcripteur absolument génial, habité par son respect pour Beethoven. A aucun moment il ne se met en scène, alors qu’il déploie toute sa technique de piano : octaves, déplacements, doubles notes, notes répétées, accords, trémolos. Toute l’artillerie pianistique lisztienne est là, mais à aucun moment, on se dit : « Ah, c’est du Liszt ! » C’est la Neuvième Symphonie de Beethoven qu’on entend, admirablement revisitée par Liszt avec deux pianos. La deuxième raison, c’est que ce n’est jamais enregistré. Il y a un disque qui a été fait il y a 30 ans par deux pianistes français, Alain Planes et Georges Pludermacher. Il y a eu deux pianistes Belges il y a quelques années, et puis c’est à peu près tout. La troisième raison, c’est que cela représente une travail très enrichissant, stimulant, source de progrès, même si l’oeuvre est d’une difficulté redoutable et épuisante à jouer. 

WB : J’imagine que du temps de Liszt, c’était une manière de faire connaitre une partition qui n’était pas beaucoup jouée je pense, parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’orchestres,  pas beaucoup de concerts, ni disques ni rien, mais quand on écoute maintenant, si je me fais un peu l’avocat du diable, est-ce que ce n’est pas un peu ingrat de rendre toutes les couleurs orchestrales sur un instrument qui n’est pas vraiment fait pour différencier les timbres? Si on prend les vents, les cordes et surtout dans le final avec les quatre voix solistes et le chœur, est-ce qu’on peut rendre cela sur un piano?

PC : Bien entendu, quand, dans le Final, arrive le passage du choeur en unissons, Liszt avait tout à fait conscience que ces unissons ne seraient pas aussi beaux sur deux pianos ! Je trouve que le son du CD, réalisé par Johannes Kammann, est exceptionnel : les deux pianos sont ouverts, le son est spatialisé et puis on avait deux instruments somptueux, des Bechstein récents réglés au millimètre, on a beaucoup travaillé sur les couleurs, les timbres, les voix. 

WB : Vous avez dit aussi sur Facebook que votre disque des trios de Beethoven a été récompensé plusieurs fois aussi bien que par Diapason que par Classica, est-ce qu’une telle reconnaissance compte beaucoup pour vous?

PC : J’ai 58 ans, et j’ai enregistré 42 CD. Diapason aura attendu ma 35ème année de carrière professionnelle pour me décerner sa récompense, que je dois partager avec mes amis Grimal et Gastinel. Que voulez-vous que je vous dise ? Je suis surtout heureux pour le disque et pour ma maison de disques La Dolce Volta.

WB : Et si cela avait été le contraire, si on avait dit par exemple : ‘ Ce disque n’égale pas les réussites du Beaux Arts Trio, est-ce que vous auriez dit : « Cela ne concerne que celui qui l’écrit? » ou vous auriez été vexé? ‘

PC : Ecoutez : chacun dans son jardin, laissons les critiques écrire ce qu’ils veulent, et les musiciens donner des concerts et suivre leur destinée. C’est ainsi. L’inverse ne se produira jamais. Donc, où est le problème ? J’observe juste que les critiques ne supportent pas que des musiciens professionnels osent contester leurs jugements, je l’ai constaté à mes dépens. Mais vous savez, les critiques ne m’intéressent plus vraiment, je n’achète plus de magazines de musique classique depuis des années, je n’ai plus le temps, et je m’informe autrement. Ce qui me fait progresser, c’est l’avis de mes pairs, de nos illustres aînés : Radu Lupu quand je lui joue du Brahms, Michel Dalberto qui m’écrit un très long courriel après un récital Schubert, Dominique Merlet qui relève une grosse faute de texte dans un de mes disques, le chef Thomas Hengelbrock qui me parle en détail du CD des Trios de Beethoven… Voilà ce qui compte à mes yeux. Mais je ne veux pas non plus dénigrer la critique musicale en soi : elle est toujours aussi importante pour les jeunes qui démarrent leur carrière. Et plusieurs avis, éventuellement différents, permettent à un jeune musicien de se situer, de comprendre comment son travail est écouté et perçu. Et voulez-vous que je vous dise ? Le compositeur André Boucourechliev a éreinté mon tout premier CD, consacré à Schubert, en 1989, dans Diapason. Dans Télérama, j’ai eu une critique dithyrambique. 30 ans après, je donne raison à Boucourechliev. Même si sa critique est trop sévère, sur le fond il avait raison !

WB : En dehors de votre talent de pianiste, vous avez un autre talent, celui de présentateur à la radio, est-ce que c’est devenu une sorte de deuxième carrière ?

PC : J’adore la radio, c’est devenu une véritable addiction. Je n’ai jamais été professeur dans une école, je ne donne des cours de piano que dans une ou deux académies d’été. Pour moi, la radio, c’est un peu la pédagogie à travers un micro, le partage, la transmission.

WB : Cela s’entend ! J’ai un très bon souvenir de vos émissions « Clé du traducteur », il y a longtemps je travaillais à l’université d’Utrecht et c’était un travail que je n’aimais pas du tout, j’étais seul dans mon bureau et c’était un vendredi je pense sur France Musique. Je suis tombé sur votre émission et je me souviens de plusieurs entre elles sur Gaspard de la nuit, la Fantaisie en ré mineur de Mozart. Et vous m’avez vraiment fait réfléchir parce que je n’avais jamais fait le constat, c’était sur le troisième concerto de Beethoven, vous avez dit à propos du Largo que quelque simple que soit l’entrée du piano, les pianistes jouent très différemment les uns des autres. Je n’avais jamais fait attention et c’est vous qui m’avez-fait remarquer que les différences sont parfois grandes! 

PC : Merci, j’en suis très heureux ! J’ai présenté 430 émissions de « Notes du traducteur », j’ai appris énormément grâce à cette émission qui exigeait un gros travail de préparation. Il me fallait parler des partitions, des compositeurs, des  œuvres, cela a été un moteur de recherches essentiel dans ma vie de musicien. C’était un vrai travail, pas un amusement, mais j’y prenais beaucoup de plaisir. Cela m’a fait progresser, cette volonté de traduire en mots simples l’imaginaire du compositeur, la relation fusionnelle de l’interprète avec la partition, l’exigence de la partition par rapport à tout ce que le compositeur écrit. 

WB : Et l’émission que vous menez maintenant, « Portrait de famille », c’est toujours sur un artiste donné?

PC : Plutôt un pianiste ou un groupe de pianistes.

WB : J’ai écouté ces émissions consacrées à Lupu, j’avais déjà trouvé cette version de la 3ème sonate de Chopin ailleurs, je l’ai entendue en récital et je n’ai jamais oublié. Et sa version de la sonate de Liszt était torrentielle!

PC : Elle m’a bouleversé. Un des plus belles et profondes Sonates de Liszt que j’ai entendues dans ma vie. Radu a écouté l’émission et après, il m’a téléphoné. Il a fait des commentaires sur tout ce que j’avais diffusé, c’était tellement touchant ! Il ne se souvenait plus du tout de ses Chopin au Japon en 1987, qu’il a trouvés très réussis… 34 ans plus tard. Et pour la Sonate de Liszt, il a dit : « Tu sais, je ne l’ai jouée que dix fois dans ma vie » …

WB : Merci beaucoup, Philippe!

PC : De rien, on a beaucoup parlé !