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Amsterdam, le 31 mars 2007

Il y a de ces artistes qui font parler d’eux et qui semblent « tout d’un coup »être là, dans le sens que beaucoup de critiques en soulignent le talent. J’avais entendu et lu bien des choses positives sur le deuxième CD de Lise de la Salle, où elle joue Bach et Liszt. Cela a piqué ma curiosité et en effet, dès la première écoute, j’ai été impressionné comme je ne l’ai pas souvent été. Le plus beau compliment que je puisse probablement faire à cette jeune artiste est qu’elle joue comme j’aurais voulu le faire moi même (si j’en avais eu le talent !). Il y a chez cette pianiste extraordinaire une sincérité, un calme et avant tout une maturité exceptionnelles. Un concert en février 2007 à l’Auditorium du Louvre n’a fait que confirmer ces impressions favorables. Lors d’un entretien, Lise de la Salle s’est expliquée avec la même intelligence et la même confiance en elle. Une pianiste qui sait où elle va et qui est heureuse de communiquer avec son instrument et son public.


Willem Boone (WB): D’abord, permettez-moi encore de vous dire combien j’ai surtout été bouleversé par vos Bach. En néerlandais, il y a une expression « une vieille âme », qu’on utilise pour quelqu’un de jeune qui semble pourtant avoir beaucoup vécu et vu. En êtes-vous et d’où tenez-vous cette incroyable maturité ?

Lise de la Salle (LdlS) : Je n’en sais rien, je suis incapable de vous répondre ! Ce que vous dites est flatteur et c’est un peu mon but de faire oublier mon âge ! J’ai une vie remplie, malgré ma jeunesse et dans ma vie professionnelle, j’ai vécu des  choses d’adultes relativement jeune.

WB : Quoi par exemple ?

LdlS : Quand j’ai rencontré mon agent et ma maison de disques à l’âge de 14 ans...

WB Dans la notice qui accompagne votre premier CD, il y a une photo drôle où vous êtes devant une affiche « Le plus important est que je communique », justement, comment le fait-on ?

LdlS : Encore, je ne sais pas.. Je suis quelqu’un qui va vers les autres, aussi hors du piano. Dans la vie quotidienne, je suis spontanée et naturelle. Le contact avec le public m’a toujours fascinée, je veux sentir le bonheur d’être artiste. L’artiste donne du bonheur et de l’énergie à son public, qui vous le rend à son tour. Cela créee une énergie très positive et cela encourage l’artiste à être encore plus à l’écoute du public, ce qui fait que je sors toujours positive d’un concert.

WB : Ne vous sentez-vous jamais mal à l’aise ?

LdlS : Non, je ne me sens jamais mal à l’aise lors d’un concert. Bien sûr, il m’arrive de ne pas être à 100% et il y a des concerts moins réussis. Je pense parfois à ce que je pourrais mieux faire, mais je suis toujours heureuse d’avoir été en contact avec mon public.

WB : Vous devez être une pianiste heureuse !  Dans une interview, j’ai lu que vos deux idoles sont Schwarzkopf et Callas, qui sont toutes les deux très différentes et qui représentent dans un certains sens le contrôle absolu d’un côté et la passion d’un autre, est-ce que ces deux caractéristiques ne s’excluent pas mutuellement ?

LdlS : J’essaye de les réconcilier ! La musique doit ressembler à la vie, c’est ce qui me plait et ce qui est très fort chez Callas. Elle incarne pour moi le reflet des sentiments humains, tels la passion, la douleur et parfois la joie. La musique est avant tout le miroir de la vie,elle doit donner des émotions au public. La voix de Schwarzkopf était d’une grande pureté et ce travail sur le son m’a toujours semblé très important.  

WB : Y a-t-il des pianistes qui réunissent ces mêmes caractéristiques que vous avez évoquées plus haut pour Callas et Schwarzkopf ?

LdlS : Chez les pianistes, je ressens cela d’une façon moins forte, c´est évidemment également présent, mais je recherche autre chose en écoutant les pianistes: principalement l’architecture globale de l’oeuvre... il y a beaucoup de pianistes que j’admire énormément, comme Rachmaninov, Horowitz, Richter, Lipatti, Gulda..

WB : Que pensez-vous d’un pianiste comme Krystian Zimerman ? Pour moi c’est quelqu’un qui est presque maniaque dans son contrôle sur la sonorité, la dynamique et la technique, mais c’est aussi quelqu’un qui peut se laisser aller à une incroyable passion en concert...

LdlS : Je ne porte pas de jugement sur mes collègues, mais c’est un musicien très abouti et important.

WB :Certains ont dit que votre Bach serait « trop romantique », que pensez-vous d’une telle critique ?

LdlS : On a souvent une image de Bach selon laquelle il serait uniquement un compositeur cérébral et c’est faux. Il y a énormément de sentiments, d’amour et de chaleur humaine dans sa musique ! Elle ne s’adresse pas seulement à un intellect, bien qu’elle interpelle très souvent, voire constamment l’intellect.

WB : Pour vos disques, vous choisissez souvent deux compositeurs...

LdlS : Oui, j’aime les rapprochements inattendus et je recherche des points communs très forts.

WB : Vous avez combiné Bach avec Liszt, qu’est-ce que ces deux compositeurs ont en commun ?

LdlS : Ce sont deux génies et ils ont tous les deux immensément fait pour le clavier. Pour le reste, ils sont tellement opposés que cela les rapproche en quelque sorte. Les mettre face à face les rend plus forts chacun dans leur univers. C’est comme on dit en français : « Les opposés s’attirent ». Ils sont comme deux couleurs pétantes, elles s’opposent pour ensuite se fondre...

WB :Vous avez fait de même pour votre nouveau CD, où vous combinez Mozart et Prokofiev..

LdlS : Oui, il sort ce soir.. Entre Mozart et Prokofiev, il y a également des similitudes. Il y a une clarté, une limpidité et une écriture qu’on retrouve chez les deux. Prokofiev s’intéressait beaucoup aux classiques. Ils sont simples au sens positif et leurs musiques sont très contrastées. Mozart est un compositeur qui passe du rire au larme. Il peut y avoir un climat très distingué, trois secondes plus loin, il y a subitement la mort de Don Juan qui est d’une tristesse hallucinante, puis trois secondes plus loin, on entre dans l’univers du sourire... De la même manière, on retrouve chez Prokofiev un univers très staccato, martelé et subitement, nous sommes dans un monde lyrique, on ressent un grand élan d’amour pour l’humanité.

WB :Oui, mais la musique de Prokofiev est parfois d’une violence et d’une motricité...

LdlS : Oui, il y a  un côté très marqué et sec, implacable, parfois déshumanisé..

WB : Ambitionneriez-vous une carrière comme celle de votre collègue Hélène Grimaud qui est considérée comme une superstar en France ?

LdlS : Sa carrière est remarquable, bien sûr, mais ce n’est pas de ce genre que je rêve aujourd’hui.

WB : Que pensez-vous du scandale autour de la pianiste anglaise Joyce Hatto ?

LdlS : C’est incroyable qu’on découvre cela maintenant. C’est hallucinant ce que son mari a fait et pas très musical...

WB : Et s’il avait pris l’un de vos disques, comment auriez-vous réagi ?

LdlS : Dans un premier temps, j’aurais été flattée ! Il a pris de grands interprètes, mais après tout, cela reste du vol !

WB : Le concert de ce soir est votre premier au Concertgebouw d’Amsterdam, qu’est-ce que vous en attendez ?

LdlS : C’est une scène mythique, je suis très honorée et heureuse d’être là : cependant, je ne me sens pas démesurément intimidée : j’ai simplement envie de vivre pleinement chaque seconde.

WB : Comment pensez-vous que le public aille réagir ?

LdlS : Je ne me fais pas d’idées préconçues..

© Willem Boone 2007