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Arnhem, le 1er mars 2013

Le jeune pianiste français David Kadouch est un autre élève doué du maître Dmitri Bashkirov. Il a bien voulu m’accueillir à l’issu de son récital à Arnhem pour me parler avec enthousiasme de son métier..

Willem Boone (WB) : Comment composez-vous un programme de récital : par thème, période ou tonalité par exemple?

David Kadouch (DK) : Par coup de cœur, je joue des œuvres que j’aime! Il y a d’ailleurs une relation entre celles que j’ai jouées ce soir; elle font partie d’un disque qui vient de sortir chez Mirare. Ensuite,  certaines d’entre elles représentent plusieurs facettes de la Russie. Dans un sens, on peut dire que Debussy va vers Medtner. Le style de ce dernier compositeur est hypra-romantique, celui de Debussy plus implicite. Quant aux variations de Liszt, je les ai beaucoup jouées et j’ai repris l’œuvre. Cela me permet de bien tester le piano en début du concert! Le programme de ce concert me permet ensuite d’utiliser beaucoup de couleurs, comme un peintre.

WB : Pourtant j’image qu’il y a entrée en musique plus facile que Liszt?

DK : Dimanche dernier, j’ai commencé par Haydn, je varie beaucoup mes programmes.

WB : J’ai entendu un disque live de Wilhelm Backhaus, où il faisait quelque chose qui ne se fait plus dans les salles de concert : il modulait entre deux œuvres pour arriver à la tonalité de l’œuvre suivante sur son programme

DK : Cela me fascine, bien que ce ne soit pas agréable pour l’oreille à mon avis. J’aime qu’il y ait une rupture entre deux œuvres.

WB : Vladimir Ashkenazy a dit concernant le Prélude et Fugue de Taneyev que vous avez joué que c’était l’une des compositions les plus difficiles qu’il ait jamais abordée, en quoi tient sa difficulté?

DK : Je ne pense pas que ce soit si difficile; au début la fugue a été dure pour la mémoire, car il y a beaucoup de voix. Les premières semaines que je m’y suis mise ont été un cauchemar.

WB : Est-ce aussi difficile qu’Islamey par exemple?

DK : Je ne joue pas Islamey, mais je ne pense pas.

WB : Taneyev a-t-il écrit d’autres œuvres pour piano seul qui valent le détour? On les entend rarement?

DK : Pour piano seul, je ne sais pas, j’ai découvert ce Prélude et Fugue pas hasard. C’est Lilya Zilberstein qui le jouait sur Youtube et j’ai voulu le jouer. Il a écrit un Quintette avec piano qui est beau. Taneyev n’est pas un compositeur connu, mais Tschaikofsky croyait beaucoup en lui!

WB : Comment voyez-vous la Sonata Reminiscenza de Medtner que vous avez jouée ce soir?

DK : C’est de la musique improvisée, on est dans la ballade. Medtner était quelqu’un de hypra-mélancolique.  Cette sonate est un chef d’œuvre qui me touche beaucoup. Jouer sa musique relève de l’exploration; il faut tout laisser arriver.

WB : Pourquoi ce compositeur est-il si peu populaire?

DK : Je ne sais pas. C’est une musique qui est difficile d’accès. Il y figure une facette pas souvent représentée : un côté violent et désabusé.  Ensuite, on sent un déracinement dans sa musique : Medtner était Russe et Allemand, mais il ne se sentait aucun des deux. Malgré l’accès difficile de sa musique, Rachmaninov le tenait pour le plus grand!

WB : Parfois Medtner est surnommé « un Rachmaninov de deuxième degré » Est-ce une boutade?

DK : Non, Medtner était un être loin de chez soi. Il est d’ailleurs possible de rapprocher ces deux compositeurs de par leur écriture polyphonique. Medtner était quelqu’un qui savait utiliser les mains et le piano, mais l’écriture de Rachmaninov était plus orchestrale.

WB : Je sais que vous n’y êtes pour rien sans doute, mais j’ai lu dans une publicité pour ce concert que  vous êtes « l’un des peu de pianistes qui peut exprimer ce que Moussorgsky a voulu dire dans les Tableaux d’une exposition ». Quelles sont ces intentions selon vous?

DK : Oh là là, si je savais! Il est souvent dit à propos de la vie de Moussorgsky que sa vie était chaotique et que les Tableaux sont mal écrits. Or, ce n’est pas mon avis. Je pense qu’ils sont bien écrits et qu’il y a une structure claire. Je n’ai pas l’impression de passer par le grandiloquent; il n’y a pas de faux semblant. C’est une musique à la limite de l’impressionnisme.

WB : Avez-vous vu les tableaux de Hartman en réalité?

DK : Oui et ils ne sont pas très intéressants si on  les compare à l’œuvre de Moussorgsky qui est extraordinairement puissante! Ce sont des dessins d’ailleurs , non pas des tableaux. J’ai été un peu déçu a vrai dire..

WB : Où les-avez-vous vus? Sont ils exposés quelque part?

DK : Je les ai vus sur internet..

WB : J’aimerais parler de certains des profs avec qui vous avez travaillés, c’est surtout Pollini qui m’intéresse. J’ai l’impression que c’est quelqu’un de tellement secret que je le vois mal livrer ses « secrets » , comment était-il avec vous?

DK : C’est avec lui que j’ai travaillé le moins, uniquement le Concerto de Schonberg. Il était très méticuleux sur la façon dont c’était écrit. Il montrait un grand respect de la partition, mais c’était cartésien..

WB : Je suppose que le travail avec Maria Joao Pires a dû être tout à fait autre chose?

DK : Ah, je l’adore! C’est la plus grande pianiste avec Martha! Elle était plus sévère qu’on imagine. J’avais 14 ans quand j’ai travaillé avec elle et je me souviens encore de ce qu’elle m’a dit. C’est elle qui m’a réveillé en me posant des questions sur l’aspect organique de la partition : « Pourquoi c’est là ? »  Elle est quelqu’un de spirituel qui s’éloigne parfois de son piano. Sur scène, elle laisse tout vivre et elle observe, elle regarde l’herbe et les coccinelles…

WB : C’est la meilleure mozartienne de ce moment !

DK : Oui, mais c’est l’une des meilleures dans bien des choses ! Elle a aussi joué un fabuleux Troisième concerto de Beethoven et que penser de ses Schubert…

WB : Dans votre biographie, j’ai lu que vous avez aussi travaillé avec Itzhak Perlman, qu’est-ce qu’un pianiste peut bien aller chercher chez un violoniste ?

DK : Il a été l’une des personnes les plus importantes dans ma vie. L’un de mes amis a organisé une académie d’été sur la musique de chambre et j’ai envoyé ma cassette. Perlman a été l’un des professeurs qui a enseigné et il m’a invité. C’est quelqu’un d’innocent et d’ingénu, aussi quelqu’un de très sein. Il m’a appris que ce n’est pas si grave de monter sur scène.

WB : On ne l’entend presque plus en Europe..

DK : Non, c’est parce qu’il se déplace difficilement avec ses béquilles..

WB :Vos professeurs sont très différents les uns des autres, cherchez-vous  délibérément des influences diversifiées ?

DK : J’essaye de voir un maximum de personnes que j’admire ! Ils sont tous de grands musiciens qui peuvent m'inspirer. Ce métier est très dûr ; on travaille souvent seul et on a parfois besoin de se recentrer, sinon on risque de perdre de vue l’inspiration..

WB : Comment ne pas mentionner votre maitre Bashkirov.  Vous l’avez appelé « l’une des influences les plus marquantes de ma vie » Comment vous a-t-il influencé ?

DK :  C’ est lui qui m’a formé, avec Dennis Kozukhin je suis l’étudiant qui est resté le plus longtemps chez lui..

WB : Qu’est-ce qu’il vous a appris ?

DK : Tout ! Il était mon mentor.  Il n’était pas toujours typique de l’école russe, qui veut que le musicien ne fasse rien qu’étudier. Je me souviens qu’une fois j’avais travaillé dur et il m’a demandé : « Est-ce que tu es toujours là ? Qu’est-ce que tu fais encore ? »

WB : Bashkirov a-t-il des chevaux de bataille dans son enseignement ?

DK : Le son qui doit être le plus naturel et le plus ample possible, la posture au piano.. oui, je crois avoir fait le tour !

WB : Peut-on facilement reconnaître un élève de lui ?

DK :  Non, je ne crois pas, mais si on écoute Luis Fernando Perez, il y a une qualité de son  et une variété de couleurs magnifiques, pareil pour Plamena Mangova. On est toujours très concentré avec Bashkirov, aucun de ses élèves n’est « nice » ou petit !

WB : Je me souviens d’un concert en signe d’hommage pour les 80 ans de Bashkirov à La Roque d’Anthéron il y a deux ans et tous qui y ont participé ont été extraordinaires !

DK (s’enthousiasme) J’étais là aussi !

WB : Oui, je me souviens, je vous ai entendu jouer les Tableaux lors de cette soirée mémorable !

DK : Et encore, vous avez peu entendu, car il y aussi Volodos, Bloch, Demidenko, Gilad parmi ses élèves…

WB : Quelles œuvres avez-vous travaillées avec lui ?

DK : Enormément de choses ; beaucoup d’œuvres russes, mais beaucoup de répertoire germanique aussi : Beethoven, Schumann..

WB : Continuez-vous à le voir ?

DK : Moi oui. Bashkirov a dit : « Je meurs, je serai là pour toi », ce qui veut dire qu’il se donne tout entier, pas uniquement pour moi bien sûr, mais il est toujours là pour ses élèves.

WB : Que pensez-vous des instruments d’époque ?

DK : J’adore ! Peut-être pas le piano, car c’est un peu réducteur, mais j’adore les instruments baroques, je les écoute beaucoup, c’est une vraie passion !

WB : Une dernière question : Ravel et Debussy ont été bien exacts dans leurs partitions sur l’emploi de la pédale, mais comment faites-vous par exemple dans la musique de Mozart, Beethoven ou Schubert où il n’y a guère d’indications ?

DK : Je ne sais pas, j’y réfléchis beaucoup , je ne sais pas s’il y a un dogme. Il n’y a pas de règles, mais on ne peut pas mettre la pédale aléatoirement !