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Tryptique autour du piano, le 14 et 15 août, Eijsden

 

Il faut reconnaître au pianiste français Didier Castell- Jacomin qu’il s’accroche quand il a une idée, à savoir celle de jouer de la musique live, ce qui est presque devenu une rareté dans ce temps de Covid19. Comme il l’a si bien exprimé « La musique virtuelle n’est pas de la musique, c’est du plastique », il a su appuyer sur les bons boutons pour organiser un festival de deux jours, « Tryptique autour du piano » au musée « Ursulinenconvent » à Eijsden, le 14 et 15 août dernier. Tout cela a été possible avec le généreux soutien d’un groupe d’amis musiciens, tous aussi inspirés les uns que les autres, et d’André Fraats, co-organisateur de ces quelques jours. 

Ce dernier a bien voulu lire un manifeste, écrit par Didier Castell-Jacomin, qui a insisté que le but de ces concerts était de montrer que les musiciens voulaient exercer leur profession, malgré les conditions restrictives, imposées par le gouvernement. A travers ces évènements musicaux, les artistes ont voulu dénoncer l’impasse dans laquelle se situent les arts vivants et attirer l’attention des dirigeants sur la condition d’artistes indépendants. Ce secteur se trouve actuellement dans un état désespéré et comme le pianiste français a eu raison quand il a dit : « Ce n’est pas sans raison que nous appelons notre art « vivant ». Le public a besoin de nous et nous avons besoin du public. » Ce n’est que trop vrai et quelle consolation de pouvoir enfin écouter de la vraie musique, plus de 5 mois après le dernier concert que j’aie entendu ! Car oui, comme les concerts m’ont manqué, moi qui aime tellement la musique, j’en ai très peu écouté chez moi, lors de ce quasi-confinement, alors que j’en avais tout le temps ! Normalement, j’en écoute dans la voiture, en me rendant à mon travail (à plus de 60 kilomètres de chez moi), ou bien en concert, à Amsterdam, ou dans ma ville, à Utrecht, où je suis bénévole à la salle de concerts Tivoli Vredenburg, ce qui me permet d’écouter un grand nombre de concerts lors de la saison. Tout cela a brusquement arrêté et la sensation a été bizarre d’avoir presque complètement « perdu » l’habitude, les émotions qu’on ressent lors d’une exécution musicale, comme si c’était dans une vie précédente…  L’autre jour, quand quelqu’un sur Facebook m’a annoncé que Martha Argerich viendra jouer plusieurs fois à la Philharmonie de Paris lors de la saison suivante, j’ai dû réfléchir très longtemps : « Tiens oui, il y avait une époque où je réservais des billets pour un concert à l’étranger, quand j’avais vraiment envie d’y aller », peu à peu, l’idée m’est venue que ce serait toujours possible, et finalement j’ai acheté un billet pour un concert en mai 2021..  

Le premier concert du 14 août n’a pas tout à fait été le premier concert auquel j’ai assisté après cinq mois d’abstention : la semaine d’avant, j’avais entendu le jeune pianiste hollandais Nicholas van Poucke, à Amsterdam, dans des conditions plus ou moins semblables : concert également accessible à un public restreint d’une trentaine de personnes, tout en respectant les règles de distanciation.  Mais qu’importe finalement, pourvu qu’on puisse jouir de la musique sur le vif ! C’est le jeune pianiste Tobias Borsboom qui a inauguré le festival avec un récital fort original. Ce n’est pas si souvent qu’on peut écouter un programme aussi inventif qui comprenait aussi bien des « tubes » (Clair de lune de Debussy, Ballade opus 10/2 de Brahms) que des raretés. Qui- est-ce qui joue des œuvres originales de Godovsky en récital ? Borsboom a fini son concert avec un autre « tube », l’Apprenti sorcier de Dukas, dans une transcription pour piano seul. J’ai malheureusement oublié le nom du transcripteur, le pianiste m’a confié lors d’une interview plus tard ce même soir que ce n’était pas Dukas lui-même (qui en a bien fait une transcription pour deux pianos). Cette pièce ultra-connue m’a rappelé un passé bien lointain : celui où j’étais adolescent et où j’ai fait mes premiers pas dans une salle de concerts pour l’un de ces concerts spécialement destinés aux enfants pour les initier à la musique classique : rares sont les fois qu’on n’y présente pas l’Apprenti sorcier ou Casse-noisette de Tschaikofsky !  Lors de toute sa prestation, le jeune pianiste a impressionné, non seulement par sa technique irréprochable, mais surtout par un toucher riche et polyvalent. Dans la transcription de « Gretchen am Spinnrade » de Liszt d’après le lied de Schubert, il a d’abord recherché le chant et non la virtuosité. Dans « Feux d’artifice » de Debussy, il a d’ailleurs montré qu’il ne manquait pas de virtuosité. Ce pianiste vaut le détour et son premier cd, qui s’intitule « Wanderer » confirme ces impressions : là encore, il présente un programme varié qu’il défend avec autorité et originalité. Quand on visite son site, on se rend compte que l’artiste ose s’écarter des sentiers battus avec des concerts-théâtre ou des programmes hautement originaux, comme par exemple la composition « Pan » de Novak. 

Après ce début intéressant, l’honneur était au compositeur Schubert, que Castell-Jacomin a voulu interpréter pour rendre hommage à …… Beethoven !  D’abord, le pianiste a joué avec finesse deux impromptus pour enchaîner avec la sonate Arpeggione, en compagnie du violoncelliste Dimitri Maslennikov.  Ce dernier est un phénomène tout court, ce qui était encore plus apparent lors du premier concert du samedi, où il joué deux mouvements lents des sonates de Rachmaninov et de Chopin, avec le très virtuose Ashot Khatchatourian. Quel dommage d’ailleurs qu’ils n’aient pas eu le temps de jouer la sonate de Rachmaninov en entier, car on aurait bien voulu y entendre Khatchatourian, qui a de fortes affinités avec l’œuvre du compositeur russe. J’ai eu le privilège de l’interviewer aussi et il m’a confié que la partie du piano de cette sonate dépasse en difficulté celle du second concerto du maître russe… Le violoncelliste n’était pas en reste et il a impressionné avec une sonorité profonde. Et leur bis, variations de Paganini (écrites pour violon, mais jouées dans une transcription. Une fois de plus, je ne sais plus qui l’a faite !) a été un véritable feux d’artifice. La violoniste Elena Lavrenova avait elle aussi du tempérament à revendre, avec une sonorité large et impressionnante, d’abord dans Prélude & Allegro de Kreisler et finalement aussi dans un Czardas de Monti, où elle a invité le public à applaudir.. 

En contrepartie, le quatuor Eurasia et Didier Castell-Jacomin ont apporté de l’intimité dans ce même programme, le quatuor dans des morceaux de Puccini et Piazzola, et plus tard aussi dans un mouvement d’un quatuor de Haydn, admirable, (là encore, on aimerait les écouter de nouveau dans un quatuor « entier » !) et avec le pianiste dans le 1er mouvement du 23ème concerto de Mozart, qu’ils ont repris en entier, lors du dernier concert. Le pianiste m’avait avoué être fatigué, mais la fatigue lui a donné des ailes, car il s’est montré très inspiré, surtout dans le mouvement lent, d’une pureté et d’une simplicité idéale qui vont droit au cœur, une musique qui me prend toujours à la gorge… Il faut dire que l’oreille a besoin de quelque temps pour s’habituer à l’accompagnement d’un quatuor dans un concerto, où surtout les vents (les dialogues entre la clarinette et le piano par exemple) sont tellement importants. Le pianiste a pris congé de son public avec le dernier volet de la Fantaisie de Schumann, autre sommet du répertoire pianistique et autre musique qui prend à la gorge.. Conclusion inspirée de deux belles journées ! 

Quelle belle initiative et quelle joie de s’imprégner de musique pendant ces quelques jours et de se savoir en compagnie de musiciens qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Ce festival a commencé sous les meilleurs auspices et on attend vivement la suite !