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Ede, le 2 novembre 2019

Willem Boone (WB): J’aimerais d’abord citer Martha Argerich qui a dit qu’elle «attend des suprises d’elle-même en concert », est-ce que vous vous êtes surpris ce soir ?

Adam Laloum (AL) : C’est très difficile de répondre à cette question  aussitôt après le concert ! Je ne connais pas l’exigence de Martha Argerich, même si elle doit extrêmement élevée pour être la musicienne qu’elle est. Ce soir j’étais très fatigué de beaucoup de concerts : des programmes différents,  d’enregistrements aussi,  de peu de sommeil,  donc j’étais très surpris pour prendre l’idée de surprises, j’étais surpris de pouvoir jouer une heure et demie de musique.  Vraiment, ça m’a surpris déjà.  Je pense que se surprendre dans la musique, c’est quelque chose qui arrive. C’est difficile d’en parler, c’est surprendre nous-même, c’est une forme d’intimité aussi. Mais en tout cas, je cherche à me surprendre ! 

WB : Argerich a dit aussi, dans la même entrevue, « c’est un raccourci de s’imiter soi même », qu’en pensez-vous ? 

AL : Oui, bien sûr, c’est exactement le genre de phrase que je trouve insipirante et qui vient généralement de la part d’un genre d’artistes que j’aime énormément. Je pense qu’il y a plusieurs formes d’artistes, de musiciens, il faut que cela se passe non seulement dans la musique, mais aussi dans d’autres domaines, possiblement artistiques. Il y a des personnes qui sont dans l’instant, qui vont chercher à juste produire ce qu’il faut produire à ce moment-là, et d’autres qui sont dans la reproduction, ils essayent de reproduire ce qui s’est bien passé et pour retrouver l’émotion quand cela s’est bien passé. Je pense que c’est la chose contre laquelle se bat une artiste comme Argerich. 

WB : Vous avez remporté le concours Clara Haskil en 2009, est-ce que son répertoire est aussi le vôtre ?

AL : C’est difficile à dire, je suis encore un peu jeune ! Mais j’aime beaucoup évidemment jouer le répertoire romantique, je ne sais pas encore ce qui va se passer. Il y a des musiques dans lesquelles je me sens moins bien, ça marche moins bien avec la musique française. Certaines types de musique, française,  russe, Bartok aussi, sont d’une écriture un peu mécanique et je ne peux pas dire que « ça ne va pas bien », c’est moi qui ne vais pas bien.. Je sais qu’il y a des choses que j’aime faire et que je ne fais pas trop mal. 

WB : Vous avez travaillé avec Evgeni Koriolov, qui est un pianiste très intéressant..

AL : Oui, c’était une rencontre très forte, très intense pour moi. Je l’ai rencontré très peu de temps avant de passer le concours Haskil et c’était vraiment une grande chance pour moi de le rencontrer. C’est vraiment venu par hasard, c’était grâce à un très bon ami qui étudiait à Hambourg. C’est un pianiste qui m’a apporté beaucoup, je pense encore quotidiennement à lui, à ses phrases ou quand je travaille je me demande ce qu’il dirait.. 

WB : Qu’est-ce qu’il vous a apporté ?

AL : Déjà  beaucoup d’exigence, se donner les moyens d’aller au bout de ce qu’on veut faire, d’être avide de beauté et de qualité .

WB : Est-ce que vous avez travaillé Bach avec lui ? 

AL : Malheureusement pas, cela m’a fait peur, il fait partie de ces compositeurs que j’espère bien jouer un jour de ma vie, je suis encore prudent aujourd’hui.  Contrairement à ce qu’on pouvait penser, quand je l’ai rencontré, mon répertoire n’était pas spécialement celui de Clara Haskil entre guillemets : Mozart, Schubert et Schumann , je faisais beaucoup de Chopin et Liszt et aussi la musique russe, Rachmaninov et Scriabin, et le concours Haskil était un peu un hasard. J’ai joué pour la première fois Mozart en finale, je n’en avais jamais joué tout seul avant et c’est venu comme ça. Après, j’ai appris quelques concertos de Mozart et c’était un peu une surprise pour moi. 

WB : Et c’est grâce à lui que vous avez fréquenté Mozart ?

AL : C’était grâce au concours, sans cela je n’aurais jamais travaillé ce concerto en ut mineur. Maintenant je joue aussi sa musique de chambre et pour piano seul, je n’aurais jamais pensé de me sentir aussi familier avec lui et d’être aussi heureux de jouer sa musique. 

WB : J’ai quelques questions concernant le programme de ce soir : vous avez dit à propos de Beethoven que vous trouvez sa musique parfois « angoissante, elle est si grande et elle a tellement de caractère, elle est presque violente. » Est-ce que vous en avez des exemples ?

AL : Pour les pianistes, je pense à la sonate « Appassionata », qui est un vrai défi à tous les niveaux, il faut se mettre en danger. Jouer toutes les notes, c’est extrêmement difficile, c’est aussi de provoquer le temps, les choses au moment où on ne les entend pas qui nous met encore plus en danger. C’est une musique très forte et puissante qui demande un certain caractère. On parle de violence, mais il y a plein d’autres aspects, beaucoup de tendresse, grandeur.. 

WB :Et dans la sonate opus 101 que vous avez jouée ce soir, est-ce que là il y a de la violence ?

AL : Moins que dans l’Appassionata je pense. Je ne sais pas si « violence » est le bon mot, mais en tout cas, il y a de la fulgurance dans sa musique.  La sonate no 28 est une sonate avec beaucoup de côtés introvertis, le premier mouvement est très surprenant, aussi le troisième mouvement très court, mais extrêmement profond,  avec beaucoup d’hésitations aussi,  et il y a deux mouvement caractérisés de marches. C’est une composition très ambivalente qui a dû plaire à Schumann.  C’est être entre quelque chose de martial et quelque chose de lyrique et sans barres de mesure.. 

WB : Et je pense que vous avez dit qu’avec Beethoven le pianiste va souffrir un peu, parce que « sa musique va un peu contre ma nature. » Cela veut dire que vous êtes d’une nature placide ?

AL : Différent, c’est une musique qui me demande d’aller contre moi-même , c’est très bien aussi !

WB : Cela ne vous empêche pas de le jouer !

AL : Pas du tout, non. C’est d’autant plus intéressant, comme un acteur qui joue un rôle pour lequel il est obligé de se transformer soi-même.

WB : Et où en êtes-vous de votre développement personnel, parce que vous avez dit qu’il est bon d’affronter Beethoven justement ?

AL : Je ne sais pas où j’en suis , mais en général, je l’aborde plutôt timidement. Avec beaucoup d’amour, mais je sais bien que bientôt c’est le jubilé Beethoven , cette année, il y aura beaucoup de Beethoven, je ne sais pas si je vais y participer aussi assidument que les autres.. 

WB : Quant à Schubert, vous avez dit : « Je me sens plus proche de sa musique rêveuse et légère, les mélodies sont divines », mais je me suis dit que la musique de Schubert peut être violente aussi,  par exemple dans l’andante de la sonate D 959 que vous venez de jouer, il y a un passage qui est proche du cataclysme, non ?

AL : Bien sûr, c’est un autre moyen d’expression , pas moins complexe que chez Beethoven, avec de la violence et de la tendresse, aussi des sentiments qu’on n’arrive pas à nommer qui occupent toute cette sonate. Sa façon d’exposer les choses est différente , il n’y a pas la même recherche d’infini. Chez Beethoven, il y a une recherche de modernité.

WB : De combat peut être ?

AL : Oui, voilà. Le rapport à la vie est très différente chez ces deux personnalités. Schubert était peut-être plus passif avec sa vie, qui a plus laissé sa courte vie défiler, qui a préféré rêver à être dans l’action, on ne sait rien, c’est des fantasmes, mais c’est l’image que je me fais de Schubert : quelqu’un qui vit intensément, mais ailleurs. Beethoven, je m’imagine quelqu’un de plus terrien, mais pas moins spirituel et une autre forme d’expression. 

WB : Est-ce qu’on peut dire que Schubert est un compositeur allusif. Je me souviens que Claudio Arrau a dit que pour lui c’était le compositeur le plus difficile.  Ou pas pour vous ?

AL : Si, c’est très difficile, mais je trouve Beethoven plus difficile. C’est une question de personnalité. Il faut adapter sa personnalité selon le compositeur. 

WB : J’ai l’impression qu’on a tendance à trouver la musique de Schubert « divine », «innocente », « lyrique » alors que je crois qu’il y a bel et bien un dramatisme en dessous, peut-être en sourdine, comme dans la sonate que vous avez jouée et aussi dans la sonate en do mineur, D 958, très beethovenienne d’ailleurs. 

AL : Evidemment.  C’est très dramatique et violent d’ailleurs , il y a des pics de tension qui sont dissonants et dûrs, c’est un niveau d’intensité très fort, mais il y a toujours quelque chose qui coule, on sent toujours le cœur qui bat, alors que chez Beethoven, parfois il veut interrompre les choses et créer des silences, il est plus dans la théâtralité, Schubert, ça peut être très dramatique, mais c’est toujours contenu dans le flot, alors que chez Beethoven, le flot est parfois un peu entrecoupé, très volontairement. Je ne sais pas, je sens plus de cassure. Mais il y a pas moins de violence chez Schubert. 

WB : Quant à l’Humoresque de Schumann,  à quoi renvoie le titre de l’œuvre, est-ce que cela renvoie à la notion « humour » ?

AL : Surtout « humeur » !

WB : Je pense plutôt « des humeurs » qui sont très changeantes ..

AL : Des humeurs, aussi de l’humour.. très peu, trop peu.. c’est une œuvre très spéciale que j’aime beaucoup. 

WB : J’ai lu qu’il l’avait conçue comme un hommage à Beethoven et à Schubert, donc ça s’inscrit très bien dans le programme de ce soir, musique sérieuse pleine de combat et de souffrances, il l’a décrite comme la musique la plus profonde qu’il ait écrite. Est-ce que vous êtes d’accord ?

AL : Je ne suis pas à l’intérieur de lui, mais ça fait partie de musique qui me touchent profondément. 

WB : Vous avez dit dans la même interview sur Quoboz que c’est une œuvre inclassable, pas un ensemble de petites pièces, comme Carnaval. Pourtant l’œuvre me semble typiquement schumannienne dans le sens qu’il n’y a pas de fil conducteur à mon avis, enfin pas comme dans la Fantaisie. 

AL : Il n’y en a pas et à la fois il y a un vrai cheminement : un début et une fin. Il y a une forme, on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas de forme.  Si je reprends de mes anciens professeurs de littérature, il y a exposition, dénouement,  action et ensuite dénouement. C’est comme dans le cycles de lieder : on ne sait pas jusqu’à la dernière note quel sera le chemin. L’Humoresque est une œuvre qui commence tellement bien qu’il finit dans la peur de l’abandon. C’est tellement imprévisible comme dénouement. On s’enfonce dans la tristesse.

WB : Je pense que la fin est triomphante !

AL :Oui, les trente dernières secondes ! Il ne veut pas terminer, il y a un point d’orgue et il remet la même phrase,  un point d’orgue et il remit une troisième fois , il ne  veut pas s’arrêter. 

WB : C’est beau ce que vous dites de finir dans la tristesse, c’est aussi le cas dans Dichterliebe..très introverti..

AL : Bien sûr, introverti oui, mais avec tout ce qui s’est dit avant, c’est déchirant aussi. Une forme de paradis.. 

WB : Concernant votre disque de l’Humoresque et de la 1ère sonate, j’ai lu dans Télérama de 2013 : « Sur cd ces kaléidoscopes émotionnelles sont le rare privilège de quelques élus, Vladimir Horowitz et Claudio Arrau, aujourd’hui Adam Laloum. » Que pensez-vous de ces louanges,  est-ce que vous êtes flatté, agacé, amusé ?

AL : Plutôt flatté, mais surtout amusé…

WB : C’est pas mal comme compliment !

AL : Non, ce n’est pas mal, j’ai beaucoup de respect pour les artistes qui sont cités,  pour être comparé, mais cela m’amuse, surtout que je sais qu’on peut parfois avoir des critiques négatives aussi. Cela arrive et c’est important de savoir s’en amuser. 

WB : Il y a encore Alain Lompech qui a écrit dans Diapason : « Le piano ineffable de cet artiste, ce brin de folie, la nostalgie, qui rendent unique l’art de Novaes, Horowitz, Haskil, Kempff et quelques autres, y compris Cathérine Collard, qui était la reine de ce répertoire. »

AL : Je suis très touché, car ce sont des gens que j’aime beaucoup.  J’essaye juste de travailler pour jouer mieux chaque jour !

WB : Mais est-ce que cela fait du bien de savoir que ce que vous faites est apprécié même si on a des doutes ?

AL : Bien sûr ! On peut être influencé dans un sens ou dans un autre.. surtout quand c’est très négatif, ìl peut y avoir une phrase négative, et on va la ressasser et y penser pendant des mois, parce que quelqu’un pensait ça.. Parfois c’est des choses justes, parfois c’est des choses fausses.  Cela arrive qu’on n’est pas du tout d’accord avec le papier, et moi je suis souvent pas d’accord avec ce qu’ils disent, autant dans le positif que dans le négatif. Parfois j’ai l’impression qu’on n’était pas au même concert ! (rires).  C’est comme des critiques de films ou de cinéma, des fois je me dis que je n’ai pas vu le n’ai pas vu le même film.. ll faut relativiser. J’ai des amis de confiance, des gens qui sont durs, je compte surtout sur eux.

WB : Est-ce qu’ils sont toujours honnêtes avec vous ?

AL : Oui, je parle de gens de confiance. Je continue à prendre quelques cours, une fois tous les deux ans, Ortece de Quartier-Bresson, toujours des professeurs, Koriolov, des gens de confiance.. 

WB : Et à propos de l’enregistrement, Ivo Pogorelich a dit dans une entrevue qu’il n’écoute jamais quoi que ce soit, ni de ses collègues, ni de ses grands aînés du passé, qu’en pensez-vous ? Je pense que cela devrait faire partie de votre culture d’écouter des confrères ou consœurs  ou de prendre connaissance de grandes références du passé ! 

AL :  A priori, cela peut être enrichissant, mais je comprends que certains ne veulent pas être influencés, « pollués » par d’autres choses, donc ils veulent garder une sorte de pureté. J’écoute parfois des versions que je ne soupçonnais pas de certaines œuvres et je me disais : « Wow, on peut jouer comme ça ? Qui a osé jouer comme ça ? C’est génial ! » et sans vouloir les imiter et de laisser les portes s’ouvrir.. Je suis très content que Martha Argerich soit encore vivante et qu’elle fasse des concerts, c’est un génie et je pense que l’’écouter, ça m’enrichit.  Pas pour faire comme elle, prendre des émotions qu’elle nous envoie..Il y a quelque chose d’étrange que Martha Argerich soit plus curieuse d'écouter des jeunes que Pogorelich. 

WB :  Oui, elle est très ouverte d’esprit..

AL : Cela fait partie du type de musicien et aussi d’être toujours vivante. Je me veux pas faire des critiques de Pogorelich que je n’ai pas entendu depuis très longtemps, mais je sens moins de vie dans son jeu.

WB : J’ai encore quelques questions concernant Brahms, dont vous avez dit qu’il est « un compagnon de route depuis une dizaine d’années. » et hormis un disque pour piano seul et de la musique de chambre, vous vous êtes attaqué aux deux concertos dont on entend dire parfois qu’ils demandent une certaine maturité. Est-ce qu’il faut l’expérience d’un Arrau, Backhaus ou Freire pour les jouer ou pas forcément ?

AL : Je pense qu’il faut surtout redéfinir ce que c’est que « l’expérience ». Avoir de l’expérience avec une œuvre, c’est aussi la jouer en concert, je pense que tout est expérience. C’est toujours délicat avec ce genre d’œuvres. Faire de l’enregistrement, c’est quelque chose de définitif comme si l’enregistrement de Claudio Arrau avec Giulini n’était pas le résultat de tout ce qu’il a fait entre ses 20 et ses 60 ans. Souvent il y a plein de choses qui font peur. Au début, je voulais uniquement enregistrer le second que je connais bien alors que j’ai joué le premier une seule choses dans ma vie. Je ne voulais pas spécialement l’enregistrer, mais il se trouve que Sony me propose de faire les deux concertos, ils ne voulaient pas un seul. J’ai fini par accepter car je me suis dit que l’occasion ne se présenterait probablement pas une deuxième fois. Et donc je l’ai fait, mais surtout sans me dire « Ce serait ma version des deux concertos de Brahms. »

WB : Vous avez appris le 1er concerto pour l’occasion ?

AL : Non, je l’avais joué une fois avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse en 2015 je crois. 

WB : J’ai écouté sur France Musique une émission de Frédéric Lodéon, justement à propos de cet album et je ne sais pas si j’ai bien compris, je crois que vous avez dit qu’il y a des moments de « froideur glaçante »dans le 1er concerto, où exactement ?

AL : Il y a peut-être des souvenirs personnels,  il y a une énergie… pas glaçante comme des œuvres de guerre de Chostakovitsj, mais vous êtes du nord, moi je suis de Toulouse, c’est le caractère du nord de l’Europe, sombre… 

WB : Les brumes du nord ?

AL : Les brumes du nord, mais sans la séduction facile, ce n’est pas du tout quelque chose de glaçant, d’inhumain.. Le deuxième concerto est beaucoup plus amical pour moi, alors que le premier est plus granitique. 

WB : Dans la même émission, vous avez dit d’avoir « une petite crainte d’attaquer le troisième mouvement du premier concerto devant tous les pièges qui s’y trouvent », mais est-ce que le second n’est pas encore plus difficile que le premier, techniquement parlant ? Dans le premier mouvement, il y a des passages.. 

AL : Dans tous les mouvements.. 

AL : Le finale est très difficile aussi. Je ne sais pas, c’est difficile à répondre.. J’ai souvent joué le second et pas le premier. J’ai accumulé beaucoup d’expérience avec le second, pour moi il est plus difficile de jouer le premier. 

WB : Est-ce que vous envisageriez de jouer les deux concertos le même soir ?

AL : Je ne sais pas, ça dépend de beaucoup de choses. C’est très dûr, déjà de les jouer, il faut avoir de bonnes conditions,  avoir la chance de bien les travailler avant,  ce n’est pas toujours donné, car cela coûte cher. C’est la difficulté de ces défis, qui sont de très beaux défis.  Chaque concerto est déjà un gros défi, j’aurais peur qu’un concerto annule l’autre.. chacun est tellement beau, intense et très différent. C’est un peu une caricature de dire que l’un est froid et l’autre est chaud,  le 1er est sombre, c’est la tonalité du Réquiem de Mozart, alors que le second se veut beaucoup plus amical, une musique plus à l’écoute, moins angoissante avec une tendresse plus évidente. 

WB : Et vous jouez aussi le 3ème concerto de Rachmaninov, n’est-ce pas ?

AL : Oui, depuis très peu de temps, je l’ai joué pour la première fois au mois de février. 

WB : J’aimerais bien l’écouter avec vous, quel concerto ! Quand c’est bien joué, on est vraiment subjugué à la fin..

AL :  C’est d’une grande difficulté.

WB : Est-ce que techniquement c’est vraiment très difficile , car j’entends parfois le contraire : j’ai parlé à des pianistes qui m’ont dit que c’est très bien écrit !

AL : C’est très bien écrit pour que ce sonne comme ça,  il faut beaucoup d’endurance  et  il faut une mémoire pour toutes ces notes quand même.. Il faut que le cerveau soit toujours bien en avance 

WB : Je sais que vous faites beaucoup de musique de chambre, et vous avez dit que la musique de chambre vous fait progresser sur d’autres choses, par exemple quand vous devez jouer seul. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

AL : Le fait de répéter un trio avec deux autres personnes fait changer l’oreille, on n’écoute plus que soi-même, car soi-même ne sera qu’une partie du tout et on aura un regard sur soi qui sera un peu plus lointain,  avec toujours autant d’exigence, mais on sait qu’on est une partie de la chose.  Il faut être sur la même longueur d’ondes que son partenaire et des fois travailler avec quelqu’un qui est dans un autre système et qui lui aussi a le sentiment de tourner en rond, mais il a une autre façon de penser.  Et juste de communiquer avec quelqu’un d’autre, qu’on s’estime dans de bonnes ou de mauvaises dispositions. On ne peut que de l’ apprendre de l’autre par sa différence.  Quand l’autre n’est pas inspirant, on se sent mieux seul que dans sa compagnie, mais ça se passe plutôt rarement. 

WB : Dernière question, j’ai lu un commentaire sur Amazon concernant vous :  « Un talent à l’image de sa personnalité : impressionnant et sympathique. »

AL (rires) : Je ne peux rien dire, mais c’est gentil !