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Amsterdam, le 21 avril 2007

Jonathan Gilad est un jeune pianiste surdoué, qui à part une carrière de musicien déjà impressionnante étudie en même temps les maths..... Un premier récital en 2002 a tout de suite piqué ma curiosité, car il a joué avec le même bonheur des sonates de Beethoven, les Impromptus de Chopin et la 2eme Sonate de Prokofiev, tous des modèles de salubrité musicale et pianistique. Et puis, le maitre de Gilad, Dmitri Bashkirov, s'est exprimé en des termes particulièrement élogieux à propos de son jeune élève. Il serait donc intéressant de voir quel jugement l'élève porte sur son maitre et ce qu'il a retenu de ses leçons....


Willem Boone (WB): Dans l’une des brochures du Concertgebouw, dans laquelle on annonce votre récital de ce soir, on écrit : « En entendant Jonathan Gilad, on serait tenté de croire à la réincarnation, tant il semble la parfaite réincarnation d’Arthur Rubinstein », que pensez-vous d’une telle qualification ?

Jonathan Gilad (GL) : (visiblement étonné) : Est-ce qu’ils ont écrit ça ? Wow ! J’en suis flatté, car il fait partie des cinq pianistes morts que j’admire, même si je ne joue pas son répertoire, je me sens plus à l’aise dans le répertoire viennois, Mozart, Beethoven, Schubert, ce qui ne m’empêche pas de faire autre chose.. Mais lui, c’était plutôt Chopin.

WB : N’est-ce pas intimidant ? Rubinstein n’est pas le premier des venus !

GL : Cela n’engage que celui qui le dit, j’essaye de faire le mieux..

WB : Qui sont les quatre autres pianistes morts que vous admirez le plus sauf Rubinstein ?

GL : Horowitz, Richter, Guilels et Schnabel.

WB: Et parmi les vivants?

GL : Lupu, Barenboim, Zimerman.

WB : Et Pollini ?

GL : Je ne l’ai jamais entendu live.

WB : Vous l’avez remplacé à Chigaco quand vous aviez 15 ans, n’aviez-vous pas peur de remplacer un tel monstre sacré ?

GL : C’était une opportunité extraordinaire, mais aussi un trac important. J’avais 15 ans et on se pose moins de questions à cet âge qu’à 25 ans. C’était une émotion très forte et mon premier concert aux USA.

WB :Vous souvenz-vous du programme ?

GL : Oui, c’étaient la sonate K 332 de Mozart, la deuxieme sonate de Prokofiev et puis la sonate en do mineur de Schubert.

WB : On peut dire que vous êtes un hyperdoué, étant donné que vous étudiez à Polytechnique à côté d’une carriere musicale dans le monde entier !

GL : Polytechnique, c’est fini maintenant, mais j’ai continué mes études d’ingénieurs à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, que je compte terminer en juin de cette année.

WB : Qu’est-ce qui vous a poussé à mener de front deux carrières ?

GL : C’était probablement une contre-réaction, car tous mes profs d’école disaient : « Il faut arrêter le piano ! ». Mes parents voulaient que j’aille jusqu’au bac. C’est cet équilibre qui m’a beaucoup plu et puis les sciences m’intéressaient beaucoup aussi. Je me suis dit : « Pourquoi pas tenter la chance ? » Une activité me permet d’échapper l’autre !

WB : Est-ce que les maths et la musique se complètent ?

GL : Beaucoup le disent, mais je ne cherche pas de lien entre les deux. C’est vrai pourtant que dans les deux on développe une certaine manière de résoudre les problèmes. C’est vrai que quand on apprend l’harmonie, il y a certaines choses très rationnelles !

WB : Comment arrivez-vous à combiner les deux ? Vous devez souvent être en déplacement et rater beaucoup de cours ?

JG : Je m’organise ! Cela demande une certaine discipline, mais les concerts sont prévus à l’avance...

WB : J’aimerais parler de votre maitre, Bashkirov, que j’ai eu le privilège d’interviewer il y a quelques années et qui a parlé en des termes très laudatifs de vous. J’ai aussi assisté à quelques-uns de ses masterclass, ce qui était déjà inoubliable, et puis l’entendre en récital l’etait encore plus...

GL : Quand est-ce que vous l’avez vu en masterclass ?

WB : C’était en 2003.

GL : Et qu’est-ce qu’il a joué lors de ce récital ?

WB : Entre autres une Fantaisie de Mozart peu connue (K 396), une sonate de Haydn, la Clair de lune de Beethoven..

GL : Il joue ça, la Clair de Lune ?

WB : Est-ce que vous travaillez toujours avec lui ?

GL : Je continue à le voir, mais moins souvent, une fois par an. On se téléphone, je l’aime beaucoup. Je suis resté 13 ans avec lui, j’y allais une fois par mois, je restais deux jours avec lui, puis je retournais à Marseille...

WB : C’est extraordinaire !

GL : C’était assez physqiue.. j’ai des parents assez extraordinaires, ils ont dû s’organiser !

WB : Quel est le plus important que vous ayez appris avec lui ?

GL : J’ai tout appris avec lui.. la technique de base, la maitrise du son et de l’attaque, le toucher, mais surtout j’ai appris à sonder l’âme des compositions.

WB : Il a la réputation d’être très sévère..

GL : Oui, quand je l’ai connu, il avait effectivement la réputation d’être très dûr et même cruel, mais avec les années il est devenu plus consensuel. Avec moi, il a toujours été bien amaible, tout en restant exigeant. C’est un professeur unique, quand j’ai fait mes débuts à 11 ans, c’est lui qui a décidé ce que j’ai joué. Il a accompagné ma croissance morphologique pour que je ne joue pas de choses trop difficiles.

WB : Ne croyez-vous pas qu’un professeur se rende superflu un jour ?

GL : Non, je continue à l’appeler. Cette année, j’ai joué le 2nd concerto de Brahms pour la première fois et j’ai tenu à le jouer d’abord pour lui.

WB : Est-ce que ses conseils vous ont directement servi ?

GL : Oui, on a un vécu commun important. Il a son goût personnel, mais avec ses corrections, j’arrive assez facilement à l’essentiel, puis on discute de l’oeuvre.

WB : Avez-vous connu d’autres élèves de Bashkirov ?

GL : J’ai croisé Volodos quelques fois à Madrid, mais aussi Kirill Gerstein, Eldar Nebolsin et bien d’autres.

WB : Et Demidenko ?

GL : Oui, je l’ai croisé aussi, comme Dmitry Alexeev, mais ils sont d’une autre génération.

WB : Y-a-t-il un son Bashkirov qu’on reconnait chez ses élèves ?

GL : Non, on ne peut pas le dire. Il ne cherche pas à créer à partir d’un élève un pianiste idéal, mais il essaye de tirer le mieux de ce qu’il y a dans chacun de ses élèves, il ne formate pas. Ceci dit, il y a des traits caractéristiques, par exemple l’attention porté au silence, c’est un trait important que je retrouve chez certains qui ont travaillé avec lui.

WB : L’attention au silence ? Y a-t-il des pianistes qui ne le font pas ?

GL : Tout le monde ne les fait pas vivre de la même façon. Le signe qu’on progresse, c’est que les corrections que Bashkirov me fait maintenant ne sont pas les mêmes qu’il y a 15 ans !

WB : Je vous ai vu jouer à la télé hollandaise en compagnie de Julia Fischer et Daniel Muller-Schott dans la maison de Mozart, vous avez joué sur le piano de Mozart, quel effet cela vous a-t-il fait ?

GL : Je suis paru á la télé hollandaise ? (surpris) J’en étais fier, c’était évidemment un grand honneur, mais en même temps, c’était aussi éprouvant. Les instruments d’époque sont accordés un demi-ton en dessous, cela nous a perturbés. J’ai l’oreille absolue, Julia aussi, mais on croyait tout le temps avoir besoin de raccorder. Le toucher de ces instruments est tres différent. On est allé sur place pour tester l’instrument. Il faut dire cependant que j’ai été touché de jouer dessus, je suis allé régulierement a Salzbourg pour des masterclass, c’est un endroit où on est impregné de l’esprit de Mozart.

WB : Est-ce qu’il y a des projets de futurs disques ?

GL : Naxos va sortir les cinq concertos de Saint Seans avec la Sinfonia Finlandia sous la direction de Patrick Galois. Le premier enrégistrement est prévu pour octobre 2007,  on a prévu trois sessions.  Ce sont des concertos méconnus, surtout les numéros 1, 3 et 5. (*)

WB : Est-ce que c’est vrai que cela coûtre tres cher d’enrégistrer avec un orchestre ?

GL : Je ne m’en occupe pas, je ne connais pas les prix.

WB : Les concertos de Saint Seans, les avez-vous déjà tous à votre répertoire ?

GL : Non pas tous, ce sera reparti sur deux ou trois ans, je les apprendrai petit à petit.

WB : Avez-vous des modèles dans ces concertos ?

GL : Je les apprends et puis je vois ce que font les autres... J’évite d’avoir des modèles.

WB : Ecoutez-vous des disques chez vous ?

GL : Pas mal, mais pas trop de piano, plutôt des symphonies ou des opéras.

WB : Quels sont vos opéras favoris ?

JL : Otello, la Forza del Destino, Salomé..

WB : Avez-vous prévu des disques pour piano seul ?

GL : Pas pour l’instant.

WB : C’est dommage, j’aurais bien aimé avoir vos Ballades de Chopin sur disque.

GL : A propos, je les jouerai dans l’ordre ce soir, j’ai vu dans le programme qu’on avait annoncé l’ordre 3-1-2-4, mais ce n’est pas vrai.

WB : Avez-vous le trac ?

GL : Pas maintenant (environ 3 heures avant le concert, WB), mais cela m’arrive parfois dix minutes avant que le concert commence..

WB : Mais vous vous maitrisez ?

GL : Je n’ai pas le choix...

WB : J’ai récemment parlé à votre collegue Lise de la Salle, qui disait  qu’elle était toujours contente de jouer devant un public, même si elle n’avait pas été à 100%, qu’en pensez-vous ?

GL : Je suis assez exigeant avec moi même, je me critique s’il y a des choses qui ne passent pas, cela laisse une petite amertume, mais en finalement, cela ne m’empêche pas de dormir, mais Lise a raison, l’essentiel est de faire en sorte que le public aime...

WB : Combien de fois cela arrive qu’un concert laisse des amertumes comme vous disiez ?

GL : Tout le temps.

WB : Mais est-ce que d’autres fois cela n’arrive pas non plus que vous réusissez mieux ce que vous avez raté avant ?

GL : On n’est pas des robots, heureusement on ne joue pas toujours de la même manière. Cela se passe bien si la salle et le piano sont bons et si le public est chaleureux, cela fait qu’on joue mieux. Ici au Concertgebouw, on est bien !

WB :Comment sont les pianos à Paris ?

GL : Une fois, j’ai eu un piano catastrophique au Châtelet,mais la dernière fois que j’y ai joué avec Julia, c’était bien !

WB :Et à Pleyel ?

GL : J’y jouerai dans un mois avec l’Orchestre de Paris (dans le concerto K 453 de Mozart, WB). Quelle différence depuis que la salle a été restaurée, c’est la jour et le nuit ! Avant, elle était laide, c’était sordide, maintenant c’est lumineux. Il y a encore des défauts, mais point de vue son, c’est décent.

WB : Et la Philharmonie de Paris dont on parle en ce moment ?

GL : Oui, c’est vrai, je ne sais pas si on réussira à la remplir.. Parfois, il y a plusieurs concerts à Paris le même jour, il n’y a pas longtemps, il y avait l’Orchestre de Paris avec Eschenbach, la Staatskapelle Berlin sous Barenboim avec Lupu ensuite Uchida en récital, le même soir !

WB :  Et que pensez-vous d’un festival comme à la Roque d’Anthéron ?

GL : Jouer en plein air, c’est la catastrophe ! Les pianos sont dans un état lamentable, ils ne supportent ni la chaleur ni l’humidité. La performance musicale y est difficile, mais d’autre part, c’est un festival qui a beaucoup d’ambiance avec ses cigales qu’on entend tout le temps...

WB : Mais si on vous y réinvitait, vous joueriez à nouveau ?

GL : Oui, parce que ma famille est à Marseille !

WB : Vous avez composé un beau programme pour ce soir (Mozart Sonate K 330, Rachmaninove : Variations Corelli, Chopin : 4 Ballades), bon courage !

GL : J’espère ne pas vous décevoir !

* Le projet d’enrégistrement des concertos de Saint Seans a été malheureusement annulé (novembre 2007)

© Willem Boone 2007