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Moulin de Vernegues (Mallemort), le 11 août 2006

Le pianiste Marc André Hamelin est un phénomène tout court. Combien de pianistes seraient capables d’égaler son tour de force de jouer en quelques jours le cycle redoutable d’Ibéria d’Albeniz et un programme Liszt (dont les Réminiscences de Norma), tous les deux au festival de piano à la Roque d’Anthéron, qui se tient en plein air, puis un autre programme avec les trois dernières sonates de Beethoven, lors d’un autre concert en plein air à un château près d’Orange ? Hamelin est aussi un musicien facile à approcher, grâce à mon ami Marcel Bartnik, autre pianophile en compagnie duquel je visitais le festival de la Roque d’Anthéron en août 2006, qui l’avait déjà rencontré avant, Hamelin nous a accordé une rencontre, à son hôtel, superbe, où on a déjeuné et où on n’a pu s’empêcher de lui poser quelques questions... Pas une interview, mais plutôt un échange, avec un pianiste étonnamment honnête et connaisseur.. Voici quelques réflets d’une conversation fascinante.

Willem Boone (WB) : Vous avez joué hier soir le cycle complet d’Ibéria, ce qui est un tour de force incroyable. Comment est-ce que vous vous êtes senti une fois l’exécution finie ?

Marc André Hamelin (MAH) : J’étais content d’avoir fini ! J’ai joué le cycle dans un ordre différent : 1-2-4-3, car l’ordre que l’on joue normalement n’est pas idéal. En plus, le 1er volet a été écrit après le 2ème.

WB : Est-ce que c’est vrai qu’Albeniz tombe mal sous les doigts ?

MAH : Oui, c’est épouvantable ! On est constamment en train de redistribuer le travail des mains.. Il y a des sections qui sont épouvantables à mémoriser ! Dans cette musique, il n’y a pas de « pattern »régulier..

WB : Comment fonctionne votre mémoire en général ?

MAH : Cela prend un nombre de jours avant que ça « colle », vis-à-vis de certaines personnes comme Haskil qui lisaient une partition dans le train et la jouaient le soir même !

WB : Vous jouez plusieurs concerts à la Roque d’Anthéron, est-ce qu’après vous prolongez votre séjour en France ?

MAH : Cela dépend de l’hôtel, qui n’est pas toujours payé, tous mes voyages transatlantiques viennent de ma poche...

WB : Comment est-il de jouer des concerts en plein air, comme à la Roque d’Anthéron ?

MAH : Ce n’est pas idéal, le son se disperse beaucoup. J’ai essayé plusieurs pianos, un Bechstein et le Steinway qui était sur scène avant le concert que vous avez entendu (lors duquel il a joué Ibéria, WB), l’acoustique a beaucoup d’influence sur le feeling avec la touche. Cela aide que j’ai déjà joué quatre fois avant ici.

WB : Le public, est-il différent lors d’un festival de piano, plus connaisseur ?

MAH : Il n’y a pas de manque d’enthousiasme, mais il n’y a pas que des connaisseurs, monsieur/madame tout le monde sont là aussi.. J’en ai marre d’entendre la phrase « Marc André Hamelin, trop peu connu en France », je n’y peux pas beaucoup ! Je ne suis jamais là pour savoir ce qu’on pense de moi. Par contre, à la Roque d’Anthéron, j’ai l’honneur d’être réinvité, le vrai test, c’est la réinvitation..

WB : Permettez-moi une question peut être un peu délicate, ce qu’on entend parfois dire à votre propos : « Un immense virtuose, qui convainc dans le répertoire inconnu, mais moins dans le répertoire standard », qu’en pensez-vous ?

MAH : On fait trop le culte de l’interprète, on oublie qu’il y a le compositeur derrière. Il ne s’agit que de ma compréhension de l’oeuvre. Si on suit le raisonnement que vous avez cité, je ne serais pas non plus convaincant dans le répertoire inconnu, car il y en a d’autres qui le font mieux que moi ! Souvent, les gens ont en tête une interprétation favorite , ma référence, c’est la partition. Et puis, je joue régulièrement du répertoire standard lors de mes concerts. En ce moment, je suis en train d’apprendre la troisième sonate de Chopin.  En ce qui concerne les oeuvres inconnues, il faut savoir si cela plait au public.

WB : Comment le sait-on ?

MAH : C’est un jonglage, il faut trouver l’équilibre entre son propre goût et celui du public.

WB : Quant au répertoire inconnu, qu’est-ce qui vous attire dans une oeuvre telle que la sonate de Dukas ?

MAH : Je l’ai découverte dans une bibliothèque à Montréal en 1976/77, c’est un monde que j’aime. Ma réaction à n’importe quelle musique se rapporte à ce qui est exprimé, et non pas à la manière dont c’est exprimé.  J’ai aussi beaucoup d’affection pour le concerto de Reger, mais je ne suis pas sûr qu’il parle au public, quoique dans de bonnes conditions... Il y a aussi des mondes que je n’aime pas, par exemple la musique de Copland me laisse froid, probablement parce que je ne suis pas Américain ?
Je ne connais personne, y compris moi même, qui soit toujours consistent.

WB : Est-ce que vous écoutez de la musique pour vous même ?

MAH : Probablement beaucoup moins que vous deux ! Je me souviens mieux de ce qu’’écoutait mon père, les pianistes de la première moitié du 20eme siècle. Autrefois j’aimais écouter le jeune Ashkenazy de 18 ans et Brendel...

WB : J’ai entendu des rumeurs que vous alliez former un duo avec Katsaris ?

MAH : C’est une nouvelle ! On aurait probablement pu faire un disque Saint Seans avec le Carnaval des Animaux et les Variations sur un thème de Beethoven pour deux pianos, mais malheureusement, il y avait déjà une intégrale des concertos de Saint Seans, donc le projet est tombé à l’eau.

WB : Quelles sont vos expériences en musique de chambre ?

MAH : J’adore ! Je viens de mettre en boite le 2eme quatuor avec piano de Brahms avec le Trio Leopold. Cela va sortir en DVD en novembre, j’en suis très fier. J’aimerais bien faire le quintette avec piano de Florent Schmitt, c’est de l’excellente musique de chambre , très fin de siècle.

WB : Avez-vous des salles favorites où vous aimez par-dessus tout jouer ?

MAH : Le Casals Hall à Tokyo est exceptionnelle et le soin qu’ils y apportent au piano est féerique !

WB : Que faites-vous si vous rencontrez un piano qui est vraiment mauvais ?

MAH : C’est un inconvénient, mais on ne peut rien faire.. Il n’y en a pas souvent d’autres.. Ce que je redoute, c’est d’inaugurer un piano qui n’est pas rodé, là on peut se blesser ! Le régistre aigu et médien des Steinway américains est un point faible, cela risque d’être une raison pour laquelle quelques pianistes américains ont eu des blessures à la main droite. Les Fazioli sont superbes de sonorité, mais il faut s’y habituer, la mécanique est plus dure avec d’autres instruments.

WB : Avez-vous le trac ?

MAH : Non, jamais ! La musique a toujours été naturelle. Je me souviens de mon premier concours à 16 ans, au moment d’entrer en scène, je me suis senti tellement à l’aise...

WB : Comment arrivez-vous à jouer trois programmes différents en une semaine à peine : Iberia et un programme Liszt à la Roque d’Anthéron, puis les trois dernières sonates de Beethoven à Orange, peu après ?

MAH : A vrai dire, j’en ai fait cinq ces dernières semaines... sauf les trois programme que vous avez cités, j’en ai fait un autre au festival de piano de Husum et puis un récital Haydn/Beethoven/Schumann/ Il y a des présentateurs qui demandent parfois un certain programme.

WB : Les trois dernières sonates de Beethoven, ce n’est pas facile..

MAH : Non, je n’ai jamais dit que c’est facile !

© Willem Boone 2006