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Amsterdam, le 23 juillet 2009

Ceci n’est pas vraiment une interview dans le sens strict du terme, mais plutôt un compte rendu d’une entrevue (menée par le musicologue Ronald Vermeulen) avec les deux soeurs, qui avait lieu après un concert d’été à Amsterdam, organisé par Robeco. Après quelques-uns de ces concerts, il y a la possibilité de rencontrer les artistes, ce qui permet de mieux les connaître. A la fin de la rencontre, j’ai évidemment demandé à Katia Labeque s’il y avait une possibilité de faire ma “propre” interview. Il s’est trouvé que les deux pianistes habitent actuellement Rome, ce qui n’est pas si commode pour arranger un rendez vous, mais Katia m’a gentiment permis d’utiliser les notes que j’avais prises lors de l’entretien mentionné ci-dessus. Grâce à l’email, j’ai pu ajouter certains détails.

L’entretien commence bien tard, après 22h30. Les pianistes sont un rien fatiguées, mais arrivent à créer une ambiance agréable, aidée par une salle intime et un public intéressé.
Les pianistes disent d’emblée qu’elles désirent sonner “comme deux voix différentes”. Katia dit à propos de Marielle qu’elle “est toujours là” et elle loue sa chaleur et son sens du rythme, Marielle dit à son tour que Katia joue avec “plus de liberté et qu’elle n’a jamais peur de quoi que ce soit”. Katia ajoute qu’elle se fait parfois mal en jouant, “Physiquement, je ne sais pas ce que je fais. L’autre jour, j’ai revu un film d’un concert de Proms de Londres où nous avons joué le Double Concerto de Poulenc et en me voyant jouer, je me suis dit: “Pourquoi est-ce que je fais cela?”

Ronald Vermeulen se moque un peu d’elles en évoquant une interview, parue dans le Times, dont la moitié parlait de chaussures, mais Katia répond qu’être sur scène, c’est une expérience bien spéciale, voire une sorte de spectacle (show).

Ensuite, elles mentionnent l’association qu’elles ont fondée dont l’un des objectifs est de développer le répertoire pour deux pianos, soit en ressuscitant des compositions inconnues, soit en passant des commandes auprès de compositeurs contemporains.  Ceci n’est pas resté sans résultat, car elles ne jouent pas moins que cinq nouveaux concertos, entre autres de Richard Dubugnon et aussi du compositeur hollandais Louis Andriessen (voir plus bas). Ce dernier est considéré comme “un génie” à cause de sa façon de composer pour deux pianos. “Nous espérons jouer sa musique dans le monde entier”.

Interrogées sur le répertoire, les soeurs s’expriment sans trop de complexes. Il y a des choses qui ont changé au fil des années, elles n’aiment plus toujours les mêmes choses pour les mêmes raisons. Katia dit qu’elle ne jouerait plus “Les Visions de l’Amen de Messiaen”, “car le premier des deux pianos a toutes les belles mélodies, alors que l’autre piano n’a rien à faire”.  Ensuite, elle ne compte plus non plus jouer la musique de Rachmaninoff. “Sa façon d’écrire est stupide! Je ne suis pas intéressée par une musique où le second piano joue les mêmes harmonies que le premier piano une octave plus bas. Il faudrait que les deux pianos se complètent.”...
Dieu merci, il reste des chefs d’oeuvres qui valent toujours le coup après tant d’années, comme la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartok ou le Concerto pour deux pianos de Strawinsky.
“La plus belle composition est la Fantaisie pour quatre mains de Schubert. Nous la jouons rarement, mais comme cette salle est l’une des plus belles...”

Par contre, il n’y a pas souvent de malentendus sur la manière dont elles souhaitent jouer différentes musiques, malgré les divergences apparentes qui les séparent. “Nous sommes à la recherche du même idéal”selon Marielle.
Elle appelle la pianiste espagnole Alicia de Larrocha comme une des grandes sources d’inspiration. Cette dernière a évidemment marqué l’histoire du piano avec ses interprétations d’Albeniz, notamment celles d’Iberia. Ce soir, il y a eu plusieurs extraits de ce cycle au programme, dans des transcriptions pour deux pianos. “Nous les jouons maintenant pour continuer tout ce que Larrocha nous a apporté dans ce répertoire. C’est d’autant plus important qu’elle a arrêté de jouer il y a une dizaine d’années. Albeniz est nouveau dans notre répertoire (malgré un disque enrégistré pour Philips qui contenait ces mêmes extraits, couplés à des compositions de Granados et de Falla, dont elles se disent maintenant insatisfaites). Nous n’avons pu jouer les transcriptions que depuis l’année dernière à cause des problèmes de droits d’auteur. Nous souhaiterons jouer tout le cycle d’Iberia dans des transcriptions pour deux pianos”. C’est bien que nous puissions jouer de l’Albeniz, car maintenant on a un répertoire romantique. Il n’y a pas beaucoup de répertoire romantique pour deux pianos, Chopin n’a rien écrit, Liszt a seulement composé quelques morceaux. C’est pour cela que nous incluons Albeniz de plus en plus dans nos programmes. Puis sa musique se marie bien avec celles de Ravel ou Debussy. Albeniz va bien avec le Boléro de Ravel!”. Roland Vermeulen demande pourquoi elles n’ont pas proposé cette combinaison pour le concert de ce soir, mais elles promettent, tout en souriant, que ce sera “pour le concert suivant”.

Ensuite, il aime savoir s’il ne serait pas intéressant de combiner le son aux images (un autre objectif de leur association) afin d’attirer un public plus jeune vers les salles de concerts, mais selon Katia “c’est trop tard, nous vivons un autre époque. La seule chose que les jeunes fassent de nos jours, c’est de faire des jeux électroniques sur l’ordinateur. Les choses vont si vite maintenant! Dès que quelque chose se passe, on le retrouve sur Youtube dix minutes plus tard!”.

Katia dit qu’elles ne changent pas d’instrument lors du concert, car “Marielle n’aime pas”. Elles jouent avec la partition, mais elles ne la regardent pas forcément, “pas dans En blanc et noir de Debussy ni dans la Fantaisie pour quatre mains de Schubert, mais on l’a bien utilisée dans les Albeniz”.  Apparemment, leur mémoire est bonne, car même dans l’un des bis de ce soir, les Variations sur un thème de Paganini de Lutoslawski, elles se sont souvenues de la partition, qu’elles n’avaient pas abordée depuis une vingtaine d’années... “On s’en souvenait encore”..
Une des questions que j’ai pu poser moi même à la fin de l’entretien était pourquoi elles n’ont jamais eu de tourneur de pages... Elles préfèrent le faire elles mêmes, plutôt que de faire confiance à quelqu’un de pas intéressé ou encore quelqu’un qu’on n’a jamais vu avant ou qui compte les fausses notes...

En ce qui concerne les concerts, elles jouent souvent en duo, mais pas exclusivement. Là encore, les différences sont sensibles: Katia joue aussi avec son propre “band”, alors que Marielle dit qu’elle a besoin de beaucoup de temps en dehors de la musique. “N’oubliez pas qu’on répète beaucoup!”. Katia avoue ne pas faire beaucoup d’entrainement physique en dehors de la musique, elle suit l’exemple de sa mère “qui ne faisait jamais rien de sportif”, Marielle ne récule pas devant de longues promenades dans la montagne, “tout comme notre père qui était un grand sportif”.

Elles ont joué en plein air, mais ce n’est pas idéal. Cela peut être magique, mais il y a souvent des bruits qui risquent de déconcentrer. L’autre jour, nous avons joué sur une place énorme à Munich. Le temps est devenu bien mauvais avec de la pluie, mais tout le monde est resté, ils ont simplement sorti leurs parapluies! Selon Katia “Il n’y a que les Allemands à faire cela. Nous nous souvenons aussi du “Prinsengrachtconcert” d’Amsterdam (un phénomène propre à Amsterdam avec un concert donné en plein air sur une péniche dans l’un des canaux principaux d’Amsterdam, la Prinsengracht. Il s’agit d’une tradition qui a commencé il y a une vingtaine d’années et qui attire un public tres nombreux, WB). C’était magique, mais qu’est-ce qu’on a eu froid.. on gelait avec nos blouses en mousseline!”.

Cela ne les gène pas quand le public applaudit entre les mouvements d’une même composition (Comme cela s’est passé ce soir, où le public a déjà commencé à applaudir après le premier des trois volets d’En blanc et noir de Debussy, WB). Katia: “En fait, il vaut mieux le faire après le 1er mouvement qu’après le 3eme mouvement, car les gens ne savent jamais au juste comment la pièce se termine... Ce n’est pas grave, tant que c’est spontané!”

J’ai quand même posé quelques questions par e-mail, auxquelles Katia Labeque a gentiment répondu,

Willem Boone (WB) : Quels sont les noms des compositeurs auprès de qui vous avez commandé des oeuvres pour deux pianos ?

Katia et Marielle Labeque (KL et ML) : Louis Andriessen, Thomas Ades, Osvaldo Golijov/Gonzalo Grau, Philippe Boesmans, Richard Dubugnon et Dave Maric

WB : Qu’apportent des transcriptions pour deux pianos d’Iberia à la partition originale ? (qui sonne déjà bien orchestrale de temps en temps !)

KL et ML : Le plaisir de jouer à deux pianos et la possibilité d’aller plus en avant dans l’évocation du monde flamenco.

WB : Avez-vous parlé de ces transcriptions à Alicia de Larrocha ? Qu’est-ce qu’elle en pensait ?

KL et ML: C’est elle qui nous a donné les premières partitions !

WB : Où avez-vous trouvé la transcription d’an American in Paris de Gerschwin ?

KL et ML : Ira Gerschwin nous l’a donné

WB : Etes vous d’accord que les meilleurs duos de piano sont soit des frères/soeurs soit des couples ?

KL et ML : Non !