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Amsterdam, le 21 avril 2007

Jonathan Gilad est un jeune pianiste surdoué, qui à part une carrière de musicien déjà impressionnante étudie en même temps les maths..... Un premier récital en 2002 a tout de suite piqué ma curiosité, car il a joué avec le même bonheur des sonates de Beethoven, les Impromptus de Chopin et la 2eme Sonate de Prokofiev, tous des modèles de salubrité musicale et pianistique. Et puis, le maitre de Gilad, Dmitri Bashkirov, s'est exprimé en des termes particulièrement élogieux à propos de son jeune élève. Il serait donc intéressant de voir quel jugement l'élève porte sur son maitre et ce qu'il a retenu de ses leçons....


Willem Boone (WB): Dans l’une des brochures du Concertgebouw, dans laquelle on annonce votre récital de ce soir, on écrit : « En entendant Jonathan Gilad, on serait tenté de croire à la réincarnation, tant il semble la parfaite réincarnation d’Arthur Rubinstein », que pensez-vous d’une telle qualification ?

Jonathan Gilad (GL) : (visiblement étonné) : Est-ce qu’ils ont écrit ça ? Wow ! J’en suis flatté, car il fait partie des cinq pianistes morts que j’admire, même si je ne joue pas son répertoire, je me sens plus à l’aise dans le répertoire viennois, Mozart, Beethoven, Schubert, ce qui ne m’empêche pas de faire autre chose.. Mais lui, c’était plutôt Chopin.

WB : N’est-ce pas intimidant ? Rubinstein n’est pas le premier des venus !

GL : Cela n’engage que celui qui le dit, j’essaye de faire le mieux..

WB : Qui sont les quatre autres pianistes morts que vous admirez le plus sauf Rubinstein ?

GL : Horowitz, Richter, Guilels et Schnabel.

WB: Et parmi les vivants?

GL : Lupu, Barenboim, Zimerman.

WB : Et Pollini ?

GL : Je ne l’ai jamais entendu live.

WB : Vous l’avez remplacé à Chigaco quand vous aviez 15 ans, n’aviez-vous pas peur de remplacer un tel monstre sacré ?

GL : C’était une opportunité extraordinaire, mais aussi un trac important. J’avais 15 ans et on se pose moins de questions à cet âge qu’à 25 ans. C’était une émotion très forte et mon premier concert aux USA.

WB :Vous souvenz-vous du programme ?

GL : Oui, c’étaient la sonate K 332 de Mozart, la deuxieme sonate de Prokofiev et puis la sonate en do mineur de Schubert.

WB : On peut dire que vous êtes un hyperdoué, étant donné que vous étudiez à Polytechnique à côté d’une carriere musicale dans le monde entier !

GL : Polytechnique, c’est fini maintenant, mais j’ai continué mes études d’ingénieurs à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, que je compte terminer en juin de cette année.

WB : Qu’est-ce qui vous a poussé à mener de front deux carrières ?

GL : C’était probablement une contre-réaction, car tous mes profs d’école disaient : « Il faut arrêter le piano ! ». Mes parents voulaient que j’aille jusqu’au bac. C’est cet équilibre qui m’a beaucoup plu et puis les sciences m’intéressaient beaucoup aussi. Je me suis dit : « Pourquoi pas tenter la chance ? » Une activité me permet d’échapper l’autre !

WB : Est-ce que les maths et la musique se complètent ?

GL : Beaucoup le disent, mais je ne cherche pas de lien entre les deux. C’est vrai pourtant que dans les deux on développe une certaine manière de résoudre les problèmes. C’est vrai que quand on apprend l’harmonie, il y a certaines choses très rationnelles !

WB : Comment arrivez-vous à combiner les deux ? Vous devez souvent être en déplacement et rater beaucoup de cours ?

JG : Je m’organise ! Cela demande une certaine discipline, mais les concerts sont prévus à l’avance...

WB : J’aimerais parler de votre maitre, Bashkirov, que j’ai eu le privilège d’interviewer il y a quelques années et qui a parlé en des termes très laudatifs de vous. J’ai aussi assisté à quelques-uns de ses masterclass, ce qui était déjà inoubliable, et puis l’entendre en récital l’etait encore plus...

GL : Quand est-ce que vous l’avez vu en masterclass ?

WB : C’était en 2003.

GL : Et qu’est-ce qu’il a joué lors de ce récital ?

WB : Entre autres une Fantaisie de Mozart peu connue (K 396), une sonate de Haydn, la Clair de lune de Beethoven..

GL : Il joue ça, la Clair de Lune ?

WB : Est-ce que vous travaillez toujours avec lui ?

GL : Je continue à le voir, mais moins souvent, une fois par an. On se téléphone, je l’aime beaucoup. Je suis resté 13 ans avec lui, j’y allais une fois par mois, je restais deux jours avec lui, puis je retournais à Marseille...

WB : C’est extraordinaire !

GL : C’était assez physqiue.. j’ai des parents assez extraordinaires, ils ont dû s’organiser !

WB : Quel est le plus important que vous ayez appris avec lui ?

GL : J’ai tout appris avec lui.. la technique de base, la maitrise du son et de l’attaque, le toucher, mais surtout j’ai appris à sonder l’âme des compositions.

WB : Il a la réputation d’être très sévère..

GL : Oui, quand je l’ai connu, il avait effectivement la réputation d’être très dûr et même cruel, mais avec les années il est devenu plus consensuel. Avec moi, il a toujours été bien amaible, tout en restant exigeant. C’est un professeur unique, quand j’ai fait mes débuts à 11 ans, c’est lui qui a décidé ce que j’ai joué. Il a accompagné ma croissance morphologique pour que je ne joue pas de choses trop difficiles.

WB : Ne croyez-vous pas qu’un professeur se rende superflu un jour ?

GL : Non, je continue à l’appeler. Cette année, j’ai joué le 2nd concerto de Brahms pour la première fois et j’ai tenu à le jouer d’abord pour lui.

WB : Est-ce que ses conseils vous ont directement servi ?

GL : Oui, on a un vécu commun important. Il a son goût personnel, mais avec ses corrections, j’arrive assez facilement à l’essentiel, puis on discute de l’oeuvre.

WB : Avez-vous connu d’autres élèves de Bashkirov ?

GL : J’ai croisé Volodos quelques fois à Madrid, mais aussi Kirill Gerstein, Eldar Nebolsin et bien d’autres.

WB : Et Demidenko ?

GL : Oui, je l’ai croisé aussi, comme Dmitry Alexeev, mais ils sont d’une autre génération.

WB : Y-a-t-il un son Bashkirov qu’on reconnait chez ses élèves ?

GL : Non, on ne peut pas le dire. Il ne cherche pas à créer à partir d’un élève un pianiste idéal, mais il essaye de tirer le mieux de ce qu’il y a dans chacun de ses élèves, il ne formate pas. Ceci dit, il y a des traits caractéristiques, par exemple l’attention porté au silence, c’est un trait important que je retrouve chez certains qui ont travaillé avec lui.

WB : L’attention au silence ? Y a-t-il des pianistes qui ne le font pas ?

GL : Tout le monde ne les fait pas vivre de la même façon. Le signe qu’on progresse, c’est que les corrections que Bashkirov me fait maintenant ne sont pas les mêmes qu’il y a 15 ans !

WB : Je vous ai vu jouer à la télé hollandaise en compagnie de Julia Fischer et Daniel Muller-Schott dans la maison de Mozart, vous avez joué sur le piano de Mozart, quel effet cela vous a-t-il fait ?

GL : Je suis paru á la télé hollandaise ? (surpris) J’en étais fier, c’était évidemment un grand honneur, mais en même temps, c’était aussi éprouvant. Les instruments d’époque sont accordés un demi-ton en dessous, cela nous a perturbés. J’ai l’oreille absolue, Julia aussi, mais on croyait tout le temps avoir besoin de raccorder. Le toucher de ces instruments est tres différent. On est allé sur place pour tester l’instrument. Il faut dire cependant que j’ai été touché de jouer dessus, je suis allé régulierement a Salzbourg pour des masterclass, c’est un endroit où on est impregné de l’esprit de Mozart.

WB : Est-ce qu’il y a des projets de futurs disques ?

GL : Naxos va sortir les cinq concertos de Saint Seans avec la Sinfonia Finlandia sous la direction de Patrick Galois. Le premier enrégistrement est prévu pour octobre 2007,  on a prévu trois sessions.  Ce sont des concertos méconnus, surtout les numéros 1, 3 et 5. (*)

WB : Est-ce que c’est vrai que cela coûtre tres cher d’enrégistrer avec un orchestre ?

GL : Je ne m’en occupe pas, je ne connais pas les prix.

WB : Les concertos de Saint Seans, les avez-vous déjà tous à votre répertoire ?

GL : Non pas tous, ce sera reparti sur deux ou trois ans, je les apprendrai petit à petit.

WB : Avez-vous des modèles dans ces concertos ?

GL : Je les apprends et puis je vois ce que font les autres... J’évite d’avoir des modèles.

WB : Ecoutez-vous des disques chez vous ?

GL : Pas mal, mais pas trop de piano, plutôt des symphonies ou des opéras.

WB : Quels sont vos opéras favoris ?

JL : Otello, la Forza del Destino, Salomé..

WB : Avez-vous prévu des disques pour piano seul ?

GL : Pas pour l’instant.

WB : C’est dommage, j’aurais bien aimé avoir vos Ballades de Chopin sur disque.

GL : A propos, je les jouerai dans l’ordre ce soir, j’ai vu dans le programme qu’on avait annoncé l’ordre 3-1-2-4, mais ce n’est pas vrai.

WB : Avez-vous le trac ?

GL : Pas maintenant (environ 3 heures avant le concert, WB), mais cela m’arrive parfois dix minutes avant que le concert commence..

WB : Mais vous vous maitrisez ?

GL : Je n’ai pas le choix...

WB : J’ai récemment parlé à votre collegue Lise de la Salle, qui disait  qu’elle était toujours contente de jouer devant un public, même si elle n’avait pas été à 100%, qu’en pensez-vous ?

GL : Je suis assez exigeant avec moi même, je me critique s’il y a des choses qui ne passent pas, cela laisse une petite amertume, mais en finalement, cela ne m’empêche pas de dormir, mais Lise a raison, l’essentiel est de faire en sorte que le public aime...

WB : Combien de fois cela arrive qu’un concert laisse des amertumes comme vous disiez ?

GL : Tout le temps.

WB : Mais est-ce que d’autres fois cela n’arrive pas non plus que vous réusissez mieux ce que vous avez raté avant ?

GL : On n’est pas des robots, heureusement on ne joue pas toujours de la même manière. Cela se passe bien si la salle et le piano sont bons et si le public est chaleureux, cela fait qu’on joue mieux. Ici au Concertgebouw, on est bien !

WB :Comment sont les pianos à Paris ?

GL : Une fois, j’ai eu un piano catastrophique au Châtelet,mais la dernière fois que j’y ai joué avec Julia, c’était bien !

WB :Et à Pleyel ?

GL : J’y jouerai dans un mois avec l’Orchestre de Paris (dans le concerto K 453 de Mozart, WB). Quelle différence depuis que la salle a été restaurée, c’est la jour et le nuit ! Avant, elle était laide, c’était sordide, maintenant c’est lumineux. Il y a encore des défauts, mais point de vue son, c’est décent.

WB : Et la Philharmonie de Paris dont on parle en ce moment ?

GL : Oui, c’est vrai, je ne sais pas si on réussira à la remplir.. Parfois, il y a plusieurs concerts à Paris le même jour, il n’y a pas longtemps, il y avait l’Orchestre de Paris avec Eschenbach, la Staatskapelle Berlin sous Barenboim avec Lupu ensuite Uchida en récital, le même soir !

WB :  Et que pensez-vous d’un festival comme à la Roque d’Anthéron ?

GL : Jouer en plein air, c’est la catastrophe ! Les pianos sont dans un état lamentable, ils ne supportent ni la chaleur ni l’humidité. La performance musicale y est difficile, mais d’autre part, c’est un festival qui a beaucoup d’ambiance avec ses cigales qu’on entend tout le temps...

WB : Mais si on vous y réinvitait, vous joueriez à nouveau ?

GL : Oui, parce que ma famille est à Marseille !

WB : Vous avez composé un beau programme pour ce soir (Mozart Sonate K 330, Rachmaninove : Variations Corelli, Chopin : 4 Ballades), bon courage !

GL : J’espère ne pas vous décevoir !

* Le projet d’enrégistrement des concertos de Saint Seans a été malheureusement annulé (novembre 2007)

© Willem Boone 2007

 

Amsterdam, le 23 juillet 2009

Ceci n’est pas vraiment une interview dans le sens strict du terme, mais plutôt un compte rendu d’une entrevue (menée par le musicologue Ronald Vermeulen) avec les deux soeurs, qui avait lieu après un concert d’été à Amsterdam, organisé par Robeco. Après quelques-uns de ces concerts, il y a la possibilité de rencontrer les artistes, ce qui permet de mieux les connaître. A la fin de la rencontre, j’ai évidemment demandé à Katia Labeque s’il y avait une possibilité de faire ma “propre” interview. Il s’est trouvé que les deux pianistes habitent actuellement Rome, ce qui n’est pas si commode pour arranger un rendez vous, mais Katia m’a gentiment permis d’utiliser les notes que j’avais prises lors de l’entretien mentionné ci-dessus. Grâce à l’email, j’ai pu ajouter certains détails.

L’entretien commence bien tard, après 22h30. Les pianistes sont un rien fatiguées, mais arrivent à créer une ambiance agréable, aidée par une salle intime et un public intéressé.
Les pianistes disent d’emblée qu’elles désirent sonner “comme deux voix différentes”. Katia dit à propos de Marielle qu’elle “est toujours là” et elle loue sa chaleur et son sens du rythme, Marielle dit à son tour que Katia joue avec “plus de liberté et qu’elle n’a jamais peur de quoi que ce soit”. Katia ajoute qu’elle se fait parfois mal en jouant, “Physiquement, je ne sais pas ce que je fais. L’autre jour, j’ai revu un film d’un concert de Proms de Londres où nous avons joué le Double Concerto de Poulenc et en me voyant jouer, je me suis dit: “Pourquoi est-ce que je fais cela?”

Ronald Vermeulen se moque un peu d’elles en évoquant une interview, parue dans le Times, dont la moitié parlait de chaussures, mais Katia répond qu’être sur scène, c’est une expérience bien spéciale, voire une sorte de spectacle (show).

Ensuite, elles mentionnent l’association qu’elles ont fondée dont l’un des objectifs est de développer le répertoire pour deux pianos, soit en ressuscitant des compositions inconnues, soit en passant des commandes auprès de compositeurs contemporains.  Ceci n’est pas resté sans résultat, car elles ne jouent pas moins que cinq nouveaux concertos, entre autres de Richard Dubugnon et aussi du compositeur hollandais Louis Andriessen (voir plus bas). Ce dernier est considéré comme “un génie” à cause de sa façon de composer pour deux pianos. “Nous espérons jouer sa musique dans le monde entier”.

Interrogées sur le répertoire, les soeurs s’expriment sans trop de complexes. Il y a des choses qui ont changé au fil des années, elles n’aiment plus toujours les mêmes choses pour les mêmes raisons. Katia dit qu’elle ne jouerait plus “Les Visions de l’Amen de Messiaen”, “car le premier des deux pianos a toutes les belles mélodies, alors que l’autre piano n’a rien à faire”.  Ensuite, elle ne compte plus non plus jouer la musique de Rachmaninoff. “Sa façon d’écrire est stupide! Je ne suis pas intéressée par une musique où le second piano joue les mêmes harmonies que le premier piano une octave plus bas. Il faudrait que les deux pianos se complètent.”...
Dieu merci, il reste des chefs d’oeuvres qui valent toujours le coup après tant d’années, comme la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartok ou le Concerto pour deux pianos de Strawinsky.
“La plus belle composition est la Fantaisie pour quatre mains de Schubert. Nous la jouons rarement, mais comme cette salle est l’une des plus belles...”

Par contre, il n’y a pas souvent de malentendus sur la manière dont elles souhaitent jouer différentes musiques, malgré les divergences apparentes qui les séparent. “Nous sommes à la recherche du même idéal”selon Marielle.
Elle appelle la pianiste espagnole Alicia de Larrocha comme une des grandes sources d’inspiration. Cette dernière a évidemment marqué l’histoire du piano avec ses interprétations d’Albeniz, notamment celles d’Iberia. Ce soir, il y a eu plusieurs extraits de ce cycle au programme, dans des transcriptions pour deux pianos. “Nous les jouons maintenant pour continuer tout ce que Larrocha nous a apporté dans ce répertoire. C’est d’autant plus important qu’elle a arrêté de jouer il y a une dizaine d’années. Albeniz est nouveau dans notre répertoire (malgré un disque enrégistré pour Philips qui contenait ces mêmes extraits, couplés à des compositions de Granados et de Falla, dont elles se disent maintenant insatisfaites). Nous n’avons pu jouer les transcriptions que depuis l’année dernière à cause des problèmes de droits d’auteur. Nous souhaiterons jouer tout le cycle d’Iberia dans des transcriptions pour deux pianos”. C’est bien que nous puissions jouer de l’Albeniz, car maintenant on a un répertoire romantique. Il n’y a pas beaucoup de répertoire romantique pour deux pianos, Chopin n’a rien écrit, Liszt a seulement composé quelques morceaux. C’est pour cela que nous incluons Albeniz de plus en plus dans nos programmes. Puis sa musique se marie bien avec celles de Ravel ou Debussy. Albeniz va bien avec le Boléro de Ravel!”. Roland Vermeulen demande pourquoi elles n’ont pas proposé cette combinaison pour le concert de ce soir, mais elles promettent, tout en souriant, que ce sera “pour le concert suivant”.

Ensuite, il aime savoir s’il ne serait pas intéressant de combiner le son aux images (un autre objectif de leur association) afin d’attirer un public plus jeune vers les salles de concerts, mais selon Katia “c’est trop tard, nous vivons un autre époque. La seule chose que les jeunes fassent de nos jours, c’est de faire des jeux électroniques sur l’ordinateur. Les choses vont si vite maintenant! Dès que quelque chose se passe, on le retrouve sur Youtube dix minutes plus tard!”.

Katia dit qu’elles ne changent pas d’instrument lors du concert, car “Marielle n’aime pas”. Elles jouent avec la partition, mais elles ne la regardent pas forcément, “pas dans En blanc et noir de Debussy ni dans la Fantaisie pour quatre mains de Schubert, mais on l’a bien utilisée dans les Albeniz”.  Apparemment, leur mémoire est bonne, car même dans l’un des bis de ce soir, les Variations sur un thème de Paganini de Lutoslawski, elles se sont souvenues de la partition, qu’elles n’avaient pas abordée depuis une vingtaine d’années... “On s’en souvenait encore”..
Une des questions que j’ai pu poser moi même à la fin de l’entretien était pourquoi elles n’ont jamais eu de tourneur de pages... Elles préfèrent le faire elles mêmes, plutôt que de faire confiance à quelqu’un de pas intéressé ou encore quelqu’un qu’on n’a jamais vu avant ou qui compte les fausses notes...

En ce qui concerne les concerts, elles jouent souvent en duo, mais pas exclusivement. Là encore, les différences sont sensibles: Katia joue aussi avec son propre “band”, alors que Marielle dit qu’elle a besoin de beaucoup de temps en dehors de la musique. “N’oubliez pas qu’on répète beaucoup!”. Katia avoue ne pas faire beaucoup d’entrainement physique en dehors de la musique, elle suit l’exemple de sa mère “qui ne faisait jamais rien de sportif”, Marielle ne récule pas devant de longues promenades dans la montagne, “tout comme notre père qui était un grand sportif”.

Elles ont joué en plein air, mais ce n’est pas idéal. Cela peut être magique, mais il y a souvent des bruits qui risquent de déconcentrer. L’autre jour, nous avons joué sur une place énorme à Munich. Le temps est devenu bien mauvais avec de la pluie, mais tout le monde est resté, ils ont simplement sorti leurs parapluies! Selon Katia “Il n’y a que les Allemands à faire cela. Nous nous souvenons aussi du “Prinsengrachtconcert” d’Amsterdam (un phénomène propre à Amsterdam avec un concert donné en plein air sur une péniche dans l’un des canaux principaux d’Amsterdam, la Prinsengracht. Il s’agit d’une tradition qui a commencé il y a une vingtaine d’années et qui attire un public tres nombreux, WB). C’était magique, mais qu’est-ce qu’on a eu froid.. on gelait avec nos blouses en mousseline!”.

Cela ne les gène pas quand le public applaudit entre les mouvements d’une même composition (Comme cela s’est passé ce soir, où le public a déjà commencé à applaudir après le premier des trois volets d’En blanc et noir de Debussy, WB). Katia: “En fait, il vaut mieux le faire après le 1er mouvement qu’après le 3eme mouvement, car les gens ne savent jamais au juste comment la pièce se termine... Ce n’est pas grave, tant que c’est spontané!”

J’ai quand même posé quelques questions par e-mail, auxquelles Katia Labeque a gentiment répondu,

Willem Boone (WB) : Quels sont les noms des compositeurs auprès de qui vous avez commandé des oeuvres pour deux pianos ?

Katia et Marielle Labeque (KL et ML) : Louis Andriessen, Thomas Ades, Osvaldo Golijov/Gonzalo Grau, Philippe Boesmans, Richard Dubugnon et Dave Maric

WB : Qu’apportent des transcriptions pour deux pianos d’Iberia à la partition originale ? (qui sonne déjà bien orchestrale de temps en temps !)

KL et ML : Le plaisir de jouer à deux pianos et la possibilité d’aller plus en avant dans l’évocation du monde flamenco.

WB : Avez-vous parlé de ces transcriptions à Alicia de Larrocha ? Qu’est-ce qu’elle en pensait ?

KL et ML: C’est elle qui nous a donné les premières partitions !

WB : Où avez-vous trouvé la transcription d’an American in Paris de Gerschwin ?

KL et ML : Ira Gerschwin nous l’a donné

WB : Etes vous d’accord que les meilleurs duos de piano sont soit des frères/soeurs soit des couples ?

KL et ML : Non !

 

 

Amsterdam, le 31 mars 2007

Il y a de ces artistes qui font parler d’eux et qui semblent « tout d’un coup »être là, dans le sens que beaucoup de critiques en soulignent le talent. J’avais entendu et lu bien des choses positives sur le deuxième CD de Lise de la Salle, où elle joue Bach et Liszt. Cela a piqué ma curiosité et en effet, dès la première écoute, j’ai été impressionné comme je ne l’ai pas souvent été. Le plus beau compliment que je puisse probablement faire à cette jeune artiste est qu’elle joue comme j’aurais voulu le faire moi même (si j’en avais eu le talent !). Il y a chez cette pianiste extraordinaire une sincérité, un calme et avant tout une maturité exceptionnelles. Un concert en février 2007 à l’Auditorium du Louvre n’a fait que confirmer ces impressions favorables. Lors d’un entretien, Lise de la Salle s’est expliquée avec la même intelligence et la même confiance en elle. Une pianiste qui sait où elle va et qui est heureuse de communiquer avec son instrument et son public.


Willem Boone (WB): D’abord, permettez-moi encore de vous dire combien j’ai surtout été bouleversé par vos Bach. En néerlandais, il y a une expression « une vieille âme », qu’on utilise pour quelqu’un de jeune qui semble pourtant avoir beaucoup vécu et vu. En êtes-vous et d’où tenez-vous cette incroyable maturité ?

Lise de la Salle (LdlS) : Je n’en sais rien, je suis incapable de vous répondre ! Ce que vous dites est flatteur et c’est un peu mon but de faire oublier mon âge ! J’ai une vie remplie, malgré ma jeunesse et dans ma vie professionnelle, j’ai vécu des  choses d’adultes relativement jeune.

WB : Quoi par exemple ?

LdlS : Quand j’ai rencontré mon agent et ma maison de disques à l’âge de 14 ans...

WB Dans la notice qui accompagne votre premier CD, il y a une photo drôle où vous êtes devant une affiche « Le plus important est que je communique », justement, comment le fait-on ?

LdlS : Encore, je ne sais pas.. Je suis quelqu’un qui va vers les autres, aussi hors du piano. Dans la vie quotidienne, je suis spontanée et naturelle. Le contact avec le public m’a toujours fascinée, je veux sentir le bonheur d’être artiste. L’artiste donne du bonheur et de l’énergie à son public, qui vous le rend à son tour. Cela créee une énergie très positive et cela encourage l’artiste à être encore plus à l’écoute du public, ce qui fait que je sors toujours positive d’un concert.

WB : Ne vous sentez-vous jamais mal à l’aise ?

LdlS : Non, je ne me sens jamais mal à l’aise lors d’un concert. Bien sûr, il m’arrive de ne pas être à 100% et il y a des concerts moins réussis. Je pense parfois à ce que je pourrais mieux faire, mais je suis toujours heureuse d’avoir été en contact avec mon public.

WB : Vous devez être une pianiste heureuse !  Dans une interview, j’ai lu que vos deux idoles sont Schwarzkopf et Callas, qui sont toutes les deux très différentes et qui représentent dans un certains sens le contrôle absolu d’un côté et la passion d’un autre, est-ce que ces deux caractéristiques ne s’excluent pas mutuellement ?

LdlS : J’essaye de les réconcilier ! La musique doit ressembler à la vie, c’est ce qui me plait et ce qui est très fort chez Callas. Elle incarne pour moi le reflet des sentiments humains, tels la passion, la douleur et parfois la joie. La musique est avant tout le miroir de la vie,elle doit donner des émotions au public. La voix de Schwarzkopf était d’une grande pureté et ce travail sur le son m’a toujours semblé très important.  

WB : Y a-t-il des pianistes qui réunissent ces mêmes caractéristiques que vous avez évoquées plus haut pour Callas et Schwarzkopf ?

LdlS : Chez les pianistes, je ressens cela d’une façon moins forte, c´est évidemment également présent, mais je recherche autre chose en écoutant les pianistes: principalement l’architecture globale de l’oeuvre... il y a beaucoup de pianistes que j’admire énormément, comme Rachmaninov, Horowitz, Richter, Lipatti, Gulda..

WB : Que pensez-vous d’un pianiste comme Krystian Zimerman ? Pour moi c’est quelqu’un qui est presque maniaque dans son contrôle sur la sonorité, la dynamique et la technique, mais c’est aussi quelqu’un qui peut se laisser aller à une incroyable passion en concert...

LdlS : Je ne porte pas de jugement sur mes collègues, mais c’est un musicien très abouti et important.

WB :Certains ont dit que votre Bach serait « trop romantique », que pensez-vous d’une telle critique ?

LdlS : On a souvent une image de Bach selon laquelle il serait uniquement un compositeur cérébral et c’est faux. Il y a énormément de sentiments, d’amour et de chaleur humaine dans sa musique ! Elle ne s’adresse pas seulement à un intellect, bien qu’elle interpelle très souvent, voire constamment l’intellect.

WB : Pour vos disques, vous choisissez souvent deux compositeurs...

LdlS : Oui, j’aime les rapprochements inattendus et je recherche des points communs très forts.

WB : Vous avez combiné Bach avec Liszt, qu’est-ce que ces deux compositeurs ont en commun ?

LdlS : Ce sont deux génies et ils ont tous les deux immensément fait pour le clavier. Pour le reste, ils sont tellement opposés que cela les rapproche en quelque sorte. Les mettre face à face les rend plus forts chacun dans leur univers. C’est comme on dit en français : « Les opposés s’attirent ». Ils sont comme deux couleurs pétantes, elles s’opposent pour ensuite se fondre...

WB :Vous avez fait de même pour votre nouveau CD, où vous combinez Mozart et Prokofiev..

LdlS : Oui, il sort ce soir.. Entre Mozart et Prokofiev, il y a également des similitudes. Il y a une clarté, une limpidité et une écriture qu’on retrouve chez les deux. Prokofiev s’intéressait beaucoup aux classiques. Ils sont simples au sens positif et leurs musiques sont très contrastées. Mozart est un compositeur qui passe du rire au larme. Il peut y avoir un climat très distingué, trois secondes plus loin, il y a subitement la mort de Don Juan qui est d’une tristesse hallucinante, puis trois secondes plus loin, on entre dans l’univers du sourire... De la même manière, on retrouve chez Prokofiev un univers très staccato, martelé et subitement, nous sommes dans un monde lyrique, on ressent un grand élan d’amour pour l’humanité.

WB :Oui, mais la musique de Prokofiev est parfois d’une violence et d’une motricité...

LdlS : Oui, il y a  un côté très marqué et sec, implacable, parfois déshumanisé..

WB : Ambitionneriez-vous une carrière comme celle de votre collègue Hélène Grimaud qui est considérée comme une superstar en France ?

LdlS : Sa carrière est remarquable, bien sûr, mais ce n’est pas de ce genre que je rêve aujourd’hui.

WB : Que pensez-vous du scandale autour de la pianiste anglaise Joyce Hatto ?

LdlS : C’est incroyable qu’on découvre cela maintenant. C’est hallucinant ce que son mari a fait et pas très musical...

WB : Et s’il avait pris l’un de vos disques, comment auriez-vous réagi ?

LdlS : Dans un premier temps, j’aurais été flattée ! Il a pris de grands interprètes, mais après tout, cela reste du vol !

WB : Le concert de ce soir est votre premier au Concertgebouw d’Amsterdam, qu’est-ce que vous en attendez ?

LdlS : C’est une scène mythique, je suis très honorée et heureuse d’être là : cependant, je ne me sens pas démesurément intimidée : j’ai simplement envie de vivre pleinement chaque seconde.

WB : Comment pensez-vous que le public aille réagir ?

LdlS : Je ne me fais pas d’idées préconçues..

© Willem Boone 2007

Hilversum, le 10 octobre 2012

Louis Lortie est un pianiste que j'ai connu il y a plusieurs décennies. En fait, cela fait presque 25 années que j'ai un abonnement pour la série "Meesterpianisten" au Concertgebouw d'Amsterdam et lui a été le premier que j'ai entendu en 1989. Il m'a fait grande impression avec la deuxième année de Pélérinage de Liszt et surtout avec ses Ravel. Je me souviens d'autres récitals, parfois audacieux, avec l'intégrale des Etudes de Chopin et un concert avec orchestre assez émouvant (lors duquel il a joué le Premier Concerto de Brahms) sous la direction d'un chef hollandais, Hans Vonk, qui souffrait d'une horrible maladie et qui, au moment de ce concert, n'a plus pu se tenir debout et qui n'a même plus pu tourner ses pages.... J'ai donc bien profité de l'occasion après une classe d'interprétation pour demander un entretien, qui a eu le jour après, avant une interview avec la radio hollandaise.. Rencontre avec un pianiste qui n'a pas peur de se prononcer..

 

Willem Boone (WB) : Je vous ai observé lors d’une classe d’interprétation hier et je me demande ce qui vous procure le plus grand plaisir dans une master class?

Louis Lortie (LL) : Bonne question! Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de voir des jeunes inspirés qui ont envie de travailler. Il faut être sévère et cela peut parfois les déprimer, mais c’est comme cela dans le métier!

WB : Le métier est-il si dur?

LL : Oui, nous vivons dans un monde cruel, on ne peut pas toujours donner des bonbons à ceux qui se présentent à une master class(rires). Surtout pour eux c’est difficile actuellement : il y moins de concerts, du moins en quantité. Il y a une coupure de concerts et une dépression dans les orchestres. Si on regarde les payements mensuels des musiciens d’orchestre : c’est insuffisant pour vivre. Je constate moi-même que la vie d’artiste n’est pas toujours facile : par exemple la première répétition avec un orchestre ne se passe pas toujours bien.

WB : Est-ce que les master class ne sont pas parfois frustrantes, par exemple avec le pianiste qui a joué les Tableaux d’une exposition de Moussorgsky hier quand vous n’avez guère eu le temps d’entrer en détail?

LL : Oui, on n’a pas assez de temps et c’est quelque chose que je n’aime pas. La seule façon valable d’apporter quelque chose à un jeune pianiste, c’est de se revoir plusieurs fois. Ils ne se rendent souvent pas compte qu’ils retombent dans les mêmes erreurs, donc il faut répéter, c’est comme avec l’éducation d’un enfant!

WB : Vous avez insisté hier sur l’importance du « slow practice », le faites-vous vous-même?

LL : J’en ai parlé moins que d’habitude, normalement j’en parle beaucoup. Hier, dans le cas de la jeune pianiste japonaise qui a joué Pétrouchka, je l’ai quand même fait, car son interprétation était extrême. Oui, je le fais moi-même, surtout mentalement.

WB : C’est-à-dire?

LL : Dans mon esprit, je l’ai fait aujourd’hui. Cet après-midi, il y a eu une répétition d’orchestre de la Wanderer Fantaisie de Schubert, que je jouerai dans l’arrangement de Liszt pour piano et orchestre. Liszt a voulu rendre Schubert plus spectaculaire. Le chef a trouvé que mon approche était trop respectueuse de Schubert et que cela ne fonctionnait pas. J’ai réfléchi et je crois qu’il avait raison, il faut être flexible!

WB : Oui, mais tout le monde ne l’est pas!

LL : Non, mais c’est un chef que je respecte beaucoup.

WB : Vous avez également mentionné l’importance de s’enregistrer. Est-ce que vous le faites souvent vous-même?

LL :  Je suis presque toujours enregistré!

WB : Quelles leçons en avez-vous apprises?

LL : Je n’aime pas, mais je considère que je dois m’écouter. Le résultat est parfois exactement ce que je veux faire et des fois, il est très loin de ce que j’aurais voulu faire. J’essaye d’analyser mes réactions et la divergence entre l’écoute interne et l’écoute externe. Et je constate qu’il n’y a pas de « tempo juste ».

WB : J’ai été frappé hier par votre connaissance de la partition de Pétrouchka. Quelle est votre relation avec cette œuvre?

LL : Je la connais très bien, je l’ai jouée très jeune, aussi la réduction à quatre mains. Et je l’ai souvent entendue par des orchestres.

WB : Est-il nécessaire de l’avoir dans les doigts pour l’enseigner?

LL : On peut l’enseigner sans l’avoir dans les doigts, mais il faut bien connaitre la partition.

WB : La jouez-vous encore en ce moment?

LL : Non, je ne la joue plus depuis vingt ans.

WB :Je me souviens que vous avez joué Pétrouchka en Hollande en 1989, c’était la première année que j’assistais aux concerts de la série « Meesterpianisten »à Amsterdam, en fait, c’était le premier concert d’abonnement auquel j’ai assisté!

LL : ça se peut, j’ai souvent joué en Hollande, la première fois était en 1986.

WB : A propos de Pétrouchka, vous avez souligné hier que d’origine, c’est une partition d’orchestre. Cela a sans doute des conséquences sur votre conception de l’œuvre. On l’entend souvent comme une œuvre de haute virtuosité, jouée à la fin du concert pour déchainer des tonnerres d’applaudissements. Peut-on dire que l’œuvre a souvent été mal comprise voire mal interprétée?

LL :Cela devient très laid quand c’est jouée comme une œuvre virtuose, ce n’est pas écrit pour cela. Strawinsky a écrit la transcription par hasard. Dans le ballet, il y a une partie importante pour le piano, il fait partie de l’orchestre. Nous ne savons d’ailleurs pas exactement comment la transcription a été créée, c’est probablement Rubinstein qui a suggéré à Strawinsky de transcrire des extraits du ballet pour piano seul..

WB : En tant que transcription d’une œuvre orchestrale, Pétrouchka me semble plus réussie que la Symphonie Fantastique de Berlioz ou les Symphonies de Beethoven pour piano par Liszt!

LL : Justement, parce qu’il y a une partie importante pour piano dans la version orchestrale de Pétrouchka, ce n’est pas du tout écrit pour piano. Cependant Strawinsky a vraiment tout mis dans la version pianistique, aussi celle pour piano à quatre mains. Il existe une version enregistrée à deux mains de L’Oiseau du feu par Strawinsky, donc il y a eu un antécédent.

WB : Probablement à cause de son extrême difficulté, il n’y a pas eu tellement de disques de Pétrouchka. Que pensez-vous du disque de Pollini?

LL : C’était la première version commerciale de très haut niveau. Au moment où le disque a été publié (1972, WB), ce n’était pas dans le répertoire des pianistes. C’est lui qui l’a popularisé, c’était l’un de ses premiers disques.

WB : Mais que pensez-vous de son interprétation?

LL : Je ne l’ai plus écouté depuis longtemps. Je me souviens que c’était remarquable d’objectivité, chez lui, il n’y a pas de « cheap tricks ».

WB : Vous venez de dire que vous n’aimez pas un surplus de virtuosité dans Pétrouchka, pourtant je me souviens de deux concerts, où j’ai simplement été ébloui, par le Belge Michel Block (c’était en 1981) et par le Russe Grigory Sokolov (en 1992).

LL : Je ne connais pas Michel Block, mais je crois que Sokolov a été plus russe que Pollini! Il faut que l’étudiante chinoise de hier écoute Pollini jour et nuit comme antidote! J’ai été choqué l’autre jour quand j’ai vu un film sur Youtube par Juja Wang. Tout le monde me disait que c’était exceptionnel, mais c’était vite et fort et ce n’est pas juste. Cela ne m’intéresse pas qu’elle joue plus fort que quiconque, cela ne m’excite pas du tout!

WB : J’ai trouvé intéressante votre remarque que Strawinsky et Ravel auraient dit : « Il ne faut pas interpréter notre musique, il faut la jouer ». Ce n’est déjà pas mal de chose avec Ravel, non?

LL : Ils étaient les premiers compositeurs à dire cela et en ce faisant, ils se trouvaient aux antipodes de la musique romantique. Vlado Perlemuter était le seul vrai élève de Ravel, il jouait bien Ravel, mais il jouait aussi divinement Chopin. Son enregistrement de la 3eme sonate de Chopin est remarquable. Mais c’est rare que quelqu’un joue aussi bien Ravel que Chopin!

WB : Bien jouer Ravel n’est pas facile étant donné toutes les indications dynamiques dans la partition?

LL : Cela doit être strict et cela doit respirer. C’est au niveau du toucher qu’on peut avoir une grande liberté et donc respiration.

WB : Je ne peux pas m’empêcher de vous poser quelques questions sur votre compatriote Glenn Gould…

LL : On me pose souvent des questions sur lui, il doit y avoir une fascination très forte pour lui en Hollande! Il vivait en retrait et il est resté au Canada alors que la plupart des musiciens sont partis. Soit on s’isole complètement, soit on part.

WB : Et qu’avez-vous fait?

LL : Je suis parti très tôt en Europe où je vis depuis 25 ans.

WB : Qu’est-ce qui est tellement insupportable au Canada?

LL : C’est le nivellement des artistes, tous doivent être traités sur un pied d’égalité. En plus, c’était un pays hyper religieux jusqu’il y a 40 ans avec une séparation très stricte entre les catholiques et les protestants.

WB : Mais que pensez-vous du pianiste?

LL : Je le vois comme un artiste global. Il disait qu’il n’aimait pas particulièrement le piano et cela s’entendait parfois. Il n’aimait pas chercher des couleurs, même s’il en était capable. Mais les années ’60 étaient à mon avis plus intéressantes que la période qui venait après; il s’est passé des choses géniales après qu’il s’est arrêté de jouer en public. Plus il vieillissait, plus il mettait les micros des pianos, ce qui a fait que le son de ses  derniers disques a été très dur. Il y a par exemple un disques des Toccatas de Bach que je trouve épouvantable à cause de cela. On a l’impression qu’on avait les marteaux contre le crâne.. Dans les dernières années, il y a eu chez Glen Gould une attitude un peu suicidaire, bien qu’il y ait eu encore des illuminations ou des coups d’éclair. Avec ce pianiste, on aime ou on n’aime pas! A la fin de sa vie, sa santé est devenu un problème. Certains jours, il n’arrivait plus à jouer du piano, c’était très grave. Personne ne le savait, il parait qu’on a voulu cacher cela.

 


Moulin de Vernegues (Mallemort), le 11 août 2006

Le pianiste Marc André Hamelin est un phénomène tout court. Combien de pianistes seraient capables d’égaler son tour de force de jouer en quelques jours le cycle redoutable d’Ibéria d’Albeniz et un programme Liszt (dont les Réminiscences de Norma), tous les deux au festival de piano à la Roque d’Anthéron, qui se tient en plein air, puis un autre programme avec les trois dernières sonates de Beethoven, lors d’un autre concert en plein air à un château près d’Orange ? Hamelin est aussi un musicien facile à approcher, grâce à mon ami Marcel Bartnik, autre pianophile en compagnie duquel je visitais le festival de la Roque d’Anthéron en août 2006, qui l’avait déjà rencontré avant, Hamelin nous a accordé une rencontre, à son hôtel, superbe, où on a déjeuné et où on n’a pu s’empêcher de lui poser quelques questions... Pas une interview, mais plutôt un échange, avec un pianiste étonnamment honnête et connaisseur.. Voici quelques réflets d’une conversation fascinante.

Willem Boone (WB) : Vous avez joué hier soir le cycle complet d’Ibéria, ce qui est un tour de force incroyable. Comment est-ce que vous vous êtes senti une fois l’exécution finie ?

Marc André Hamelin (MAH) : J’étais content d’avoir fini ! J’ai joué le cycle dans un ordre différent : 1-2-4-3, car l’ordre que l’on joue normalement n’est pas idéal. En plus, le 1er volet a été écrit après le 2ème.

WB : Est-ce que c’est vrai qu’Albeniz tombe mal sous les doigts ?

MAH : Oui, c’est épouvantable ! On est constamment en train de redistribuer le travail des mains.. Il y a des sections qui sont épouvantables à mémoriser ! Dans cette musique, il n’y a pas de « pattern »régulier..

WB : Comment fonctionne votre mémoire en général ?

MAH : Cela prend un nombre de jours avant que ça « colle », vis-à-vis de certaines personnes comme Haskil qui lisaient une partition dans le train et la jouaient le soir même !

WB : Vous jouez plusieurs concerts à la Roque d’Anthéron, est-ce qu’après vous prolongez votre séjour en France ?

MAH : Cela dépend de l’hôtel, qui n’est pas toujours payé, tous mes voyages transatlantiques viennent de ma poche...

WB : Comment est-il de jouer des concerts en plein air, comme à la Roque d’Anthéron ?

MAH : Ce n’est pas idéal, le son se disperse beaucoup. J’ai essayé plusieurs pianos, un Bechstein et le Steinway qui était sur scène avant le concert que vous avez entendu (lors duquel il a joué Ibéria, WB), l’acoustique a beaucoup d’influence sur le feeling avec la touche. Cela aide que j’ai déjà joué quatre fois avant ici.

WB : Le public, est-il différent lors d’un festival de piano, plus connaisseur ?

MAH : Il n’y a pas de manque d’enthousiasme, mais il n’y a pas que des connaisseurs, monsieur/madame tout le monde sont là aussi.. J’en ai marre d’entendre la phrase « Marc André Hamelin, trop peu connu en France », je n’y peux pas beaucoup ! Je ne suis jamais là pour savoir ce qu’on pense de moi. Par contre, à la Roque d’Anthéron, j’ai l’honneur d’être réinvité, le vrai test, c’est la réinvitation..

WB : Permettez-moi une question peut être un peu délicate, ce qu’on entend parfois dire à votre propos : « Un immense virtuose, qui convainc dans le répertoire inconnu, mais moins dans le répertoire standard », qu’en pensez-vous ?

MAH : On fait trop le culte de l’interprète, on oublie qu’il y a le compositeur derrière. Il ne s’agit que de ma compréhension de l’oeuvre. Si on suit le raisonnement que vous avez cité, je ne serais pas non plus convaincant dans le répertoire inconnu, car il y en a d’autres qui le font mieux que moi ! Souvent, les gens ont en tête une interprétation favorite , ma référence, c’est la partition. Et puis, je joue régulièrement du répertoire standard lors de mes concerts. En ce moment, je suis en train d’apprendre la troisième sonate de Chopin.  En ce qui concerne les oeuvres inconnues, il faut savoir si cela plait au public.

WB : Comment le sait-on ?

MAH : C’est un jonglage, il faut trouver l’équilibre entre son propre goût et celui du public.

WB : Quant au répertoire inconnu, qu’est-ce qui vous attire dans une oeuvre telle que la sonate de Dukas ?

MAH : Je l’ai découverte dans une bibliothèque à Montréal en 1976/77, c’est un monde que j’aime. Ma réaction à n’importe quelle musique se rapporte à ce qui est exprimé, et non pas à la manière dont c’est exprimé.  J’ai aussi beaucoup d’affection pour le concerto de Reger, mais je ne suis pas sûr qu’il parle au public, quoique dans de bonnes conditions... Il y a aussi des mondes que je n’aime pas, par exemple la musique de Copland me laisse froid, probablement parce que je ne suis pas Américain ?
Je ne connais personne, y compris moi même, qui soit toujours consistent.

WB : Est-ce que vous écoutez de la musique pour vous même ?

MAH : Probablement beaucoup moins que vous deux ! Je me souviens mieux de ce qu’’écoutait mon père, les pianistes de la première moitié du 20eme siècle. Autrefois j’aimais écouter le jeune Ashkenazy de 18 ans et Brendel...

WB : J’ai entendu des rumeurs que vous alliez former un duo avec Katsaris ?

MAH : C’est une nouvelle ! On aurait probablement pu faire un disque Saint Seans avec le Carnaval des Animaux et les Variations sur un thème de Beethoven pour deux pianos, mais malheureusement, il y avait déjà une intégrale des concertos de Saint Seans, donc le projet est tombé à l’eau.

WB : Quelles sont vos expériences en musique de chambre ?

MAH : J’adore ! Je viens de mettre en boite le 2eme quatuor avec piano de Brahms avec le Trio Leopold. Cela va sortir en DVD en novembre, j’en suis très fier. J’aimerais bien faire le quintette avec piano de Florent Schmitt, c’est de l’excellente musique de chambre , très fin de siècle.

WB : Avez-vous des salles favorites où vous aimez par-dessus tout jouer ?

MAH : Le Casals Hall à Tokyo est exceptionnelle et le soin qu’ils y apportent au piano est féerique !

WB : Que faites-vous si vous rencontrez un piano qui est vraiment mauvais ?

MAH : C’est un inconvénient, mais on ne peut rien faire.. Il n’y en a pas souvent d’autres.. Ce que je redoute, c’est d’inaugurer un piano qui n’est pas rodé, là on peut se blesser ! Le régistre aigu et médien des Steinway américains est un point faible, cela risque d’être une raison pour laquelle quelques pianistes américains ont eu des blessures à la main droite. Les Fazioli sont superbes de sonorité, mais il faut s’y habituer, la mécanique est plus dure avec d’autres instruments.

WB : Avez-vous le trac ?

MAH : Non, jamais ! La musique a toujours été naturelle. Je me souviens de mon premier concours à 16 ans, au moment d’entrer en scène, je me suis senti tellement à l’aise...

WB : Comment arrivez-vous à jouer trois programmes différents en une semaine à peine : Iberia et un programme Liszt à la Roque d’Anthéron, puis les trois dernières sonates de Beethoven à Orange, peu après ?

MAH : A vrai dire, j’en ai fait cinq ces dernières semaines... sauf les trois programme que vous avez cités, j’en ai fait un autre au festival de piano de Husum et puis un récital Haydn/Beethoven/Schumann/ Il y a des présentateurs qui demandent parfois un certain programme.

WB : Les trois dernières sonates de Beethoven, ce n’est pas facile..

MAH : Non, je n’ai jamais dit que c’est facile !

© Willem Boone 2006

 le 25 mars 2007

 Mes premiers souvenirs de Nelson Freire remontent à très loin. A 15 ans (en 1978), mon intérêt pour la musique et pour le piano en particulier, commençait tout juste à s’éveiller. Près de là où j’habitais (Arnhem), il y avait une salle de concert, Musis Sacrum, qui offrait une série de piano, ce qui était assez rare pour une ville de province. J’ai insisté auprès de mon père pour qu’il aille avec moi et on a entendu 5 récitals de Jean Bernard Pommier, Daniel Wayenberg, Jorge Bolet, Jean Rodolphe Kars et donc Nelson Freire. Je me souviens notamment d’un Carnaval éblouissant et de plusieurs oeuvres de Chopin qu’il a enchainées, de sorte que je n’ai pas bien reconnu l’Andante Spianato et Grande Polonaise brillante...
Quelques années plus tard, Nelson Freire m’a fait une impression tout simplement inoubliable quand il s’est remis à jouer en duo avec l’incomparable Martha Argerich. C’était en 1980 et leurs premiers concerts ont eu lieu en Hollande. Contrairement à un concert pas très réussi (aux dires du pianiste brésilien lui même) avec la même pianiste à Londres en 1968, cette fois-là l’entente a beaucoup mieux marché et les deux pianistes forment toujours un formidable duo. Pourtant, il y a quelque chose de paradoxal chez Nelson Freire : pianiste aux moyens phénoménaux (non moins pour le déchiffrage, il parait qu’Argerich l’envie !), qui possède toute une science du toucher et du son, tout comme ses célèbres devanciers Hoffmann, Cherkassky et Moiseiwitsch, il n’a longtemps pas eu la carrière qu’il méritait. Certes, les vrais aficianados le connaissaient et parlaient avec beaucoup de respect de lui, mais il jouait relativement peu de concerts et il a été scandaleusement négligé par les compagnies de disques. On l’a surtout connu comme « le partenaire d’Argerich », alors que cette dernière n’a jamais été appelée « la partenaire de Freire ».... Dieu merci, les choses ont changé depuis 6 ou 7 ans. Decca l’a pris sous contrat et diffuse ses disques dans le monde entier, dans certains pays, notamment en France (où il habite pendant une partie de l’année) et au Brésil, il est devenu une légende du piano.
Moi même, je l’ai beaucoup entendu depuis 2002, aussi grâce à un ami qui le connait bien. Ce dernier m’avait dit que Freire n’aime guère les interviews, je m’étais donc presque « résigné »à l’idée qu’une interview avec ce pianiste que j’aime tant n’allait jamais se concrétiser.  Grande a donc été ma surprise quand mon ami m’a dit que je pouvais quand même tenter le coup. C’était pour aider un autre ami, brésilien et journaliste qui avait lancé son propre magazine mi-hollandais, mi-portuguais. Quoi de plus beau de faire un peu de « pub »pour le concert de jubilé (1) de la série « Meesterpianisten »(pour la 20ème saison) que Freire devait donner en compagnie de son amie Argerich. Quand je lui ai demandé à l’issu d’un concert à la Philharmonie de Cologne (lors duquel il a joué un fabuleux 4eme concerto de Rachmaninov), il m’a proposé de l’appeler chez lui à Paris, quelques jours plus tard. C’était bien la première (et jusqu’ici l’unique)  interview par téléphone, une heure plus tard que prévue, car j’avais totalement oublié qu’on venait de changer d’heure, mais heureusement Freire ne m’en a pas voulu......


Willem Boone (WB): Quelle est votre relation avec les Pays Bas, où vous donnerez le concert de jubilé dans le cadre des 20 ans de la série « Meesterpianisten » au Concertgebouw d’Amsterdam (le 20 mai en compagnie de Martha Argerich) ?

Nelson Freire (NF) : En 1964, il y a eu une grande amie, que j’avais connue lors de mes études à Vienne, qui s’est fixé à la Haye. Son mari travaillait pour Shell. Comme il était financièrement difficile d’aller souvent au Brésil, sa maison est devenue une sorte de pied-à- terre. Je trouvais les Pays Bas très mignons et exotiques, c’était bien différent de ce que je connaissais. Plus tard, j’ai connu le pianiste hollandais Frederic Meinders, qui est mariée avec une Brésilienne, il est devenu un ami. A partir de 1972, j’ai beaucoup joué aux Pays Bas après qu’on m’avait remis le prix Edison pour mon enrégistrement des Préludes de Chopin. Je jouais partout dans le pays. Les concerts étaient organisés par un impresario qui était bien connu alors, De Koos. Certains orchestres ont disparu maintenant, mais dans le temps, il était incroyable d’avoir tellement d’orchestres et de salles dans un pays si petit.. Et les Hollandais étaient surpris que je connaisse même des endroits comme Stadskanaal.... (petit village dans le nord du pays, WB)

WB : Combien de temps y avez-vous habité ?

NF : Non, je n’y ai pas habité, j’allais et je venais.

WB : Mes amis étrangers disent que le public hollandais se lève toujours à la fin d’un concert, est-ce vrai ?

NF : Oui, en effet,mais c’est un public très musical !

WB : Vous souvenez-vous de votre premier concert en Hollande ?

NF : Oui, c’était en 1966 au Kleine Zaal du Concertgebouw d’Amsterdam.

WB : Et savez-vous encore le programme ?

NF : Toccata et Fugue en ré de Bach, la Fantaisie de Schumann et la Sonate en si mineur de Chopin, puis mon premier concert au Grote Zaal, c’était en 1975 avec Prélude, Choral et Fugue de Franck, les Etudes Symphoniques de Schumann, la 12ème Rhapsodie Hongroise de Liszt et probablement aussi de l’Albeniz...

WB : Que signifie ce concert de jubilé pour vous ?

NF : C’est à Amsterdam que Martha et moi ont recommencé à jouer en 1980, c’est donc spécial qu’on y joue de nouveau. Nous avions joué ensemble pour la première fois à Londres en 1968, et peu après à Düsseldorf. A ce moment-là, on n’avait pas l’expérience des concerts, c’était un peu improvisé pour ainsi dire, ça ne comptait pas vraiment...

WB : Point de vue répertoire, seriez-vous tenté de jouer avec Martha la transcription que Pletniev a fait d’après Cendrillon de Prokofiev ?

NF : Oh, Argerich et Pletniev le jouent tellement bien, je n’ai rien à faire là !

WB : Je croyais qu’il l’avait écrite pour vous deux ?

NF : Non, je ne pense pas..

WB : Vous avez dit que vous ne jouez à 2 pianos qu’avec Argerich, mais j’ai vu que pour le festival de Verbier cet été vous jouerez la Sonate pour deux pianos et percussion de Bartok avec Nelson Goerner. Avez-vous changé d’avis ?

NF : C’est vrai qu’en principe je ne fais que du deux pianos avec Martha, mais nos calendriers ne s’accordaient pas. Je suis content de jouer avec Goerner, c’est un ami et un très bon pianiste !

WB : Je vous ai vu jouer le 4eme Concerto de Rachmaninov et j’ai constaté que vous avez une façon bien particulière d’attaquer le son. Il n’y a jamais de dureté ni agressivité, alors que Argerich ressemble parfois à un tigre qui saute sur sa proie, l’avez-vous appris ainsi ?

NF : Peut être, oui.. C’est une question de nature et de physique.

WB : Comment faites-vous pour avoir une si belle sonorité aussi soyeuse ?

NF : Merci ! C’est vrai que je suis fasciné par le son, c’est la chose la plus personnelle d’un pianiste ! J’y fais toujours très attention. Il est important de travailler sa sonorité et de s’écouter soi même.

WB : Y a-t-il un son « Nelson Freire » ?

NF : Il y a un son pour tout le monde...

WB : Vous me semblez un vrai seigneur au piano, pas le type de broyeur d’ivoire, y a-t-il pourtant un coté animal en vous ?

NF : Martha dit toujours que je suis un chat déguisé en chien !

WB : Qu’est-ce que cela veut dire ?

NF : Que je suis d’apparence bien calme et douce, mais il ne faut pas réveiller le lion. Je peux devenir un lion quand je m’énerve..

WB : Aimez-vous jouer des choses purement virtuoses ?

NF : Bien sûr,la virtuosité me plait ! Le 4eme concerto de Rachmaninov que j’ai joué (que j’ai entendu live à Cologne, le 23 mars 2007) est très virtuose.

WB : Jouez-vous encore le 3eme de Rachmaninov ?

NF : Non, pas pour l’instant, je me suis un peu fatigué de ce concerto. Tout le monde le joue. J’ai entendu le comeback de Horowitz au Carnegie Hall en 1978 avec ce même concerto, j’y suis allé avec Martha.. mais ça ne veux pas dire que je ne le joue plus jamais ! J’ai aussi laissé de côté la Rhapsodie sur un thème de Paganini, que j’ai beaucoup jouée. J’aime bien le 2eme Concerto de Rachmaninov.

WB : Et le 1er concerto ?

NF : Je meurs d’envie de le jouer !

WB : Est-il difficile d’apprendre des concertos à votre âge ?

NF : Bien sûr, ce n’est plus la même chose par rapport à ma jeunesse, où j’apprenais le 2nd concerto de Tschaikofsky en deux semaines...On ne peut plus tout se permettre, mais ce n’est pas impossible que je me mette à apprendre le 1er concerto de Rachmaninov, Magaloff l’a appris aussi quand il avait 69 ans, mais Rachmaninov fait peur parfois, il y a beaucoup de choses diaboliques, par exemple le début du 1er concerto (Il fredonne la mélodie avec l’entrée du piano), on se sent un trapéziste !

WB : Oui, mais d’autre part, si avez le trac, vous le perdrez bien vite, car il faut s’y lancer tout-à-fait..

NF : C’ est vrai..

WB : En ce qui concerne vos CD’s, quels sont vos projets pour l’avenir une fois votre CD de sonates de Beethoven paru ?

NF : Je vais en faire, mais je ne sais pas encore quoi, il y a beaucoup de projets. Je voudrais faire un disque Ravel/Debussy ou reéngistrer la Sonate de Liszt..

WB : Les concertos de Chopin sont faits pour vous !

NF : Oui, mais il y en a d’autres aussi, Rachmaninov, Schumann, Mozart...

WB :Je sais que vous allez au concert vous même si vous en avez le temps, quels ont été les concerts qui vous ont marqué dernièrement ?

NF : Les concerts qui ne marquent pas ne sont pas bons... J’étais au Musikverein de Vienne l’ autre jour, où j’ai entendu l’Orchestre de Vienne, c’était très spécial, la salle et l’orchestre. Cela m’a rappelé l’époque où j’y vivais et étudiais, j’y ai encore des amis..Quant à mes propres concerts, je pense à ce qui vient, pas à ce qui a été !

WB : Que pensez-vous d’un jeune artiste comme Lang Lang ?

NF : Je ne l’ai pas entendu live, uniquement en DVD, je dois dire que les Réminiscences de Don Juan de Liszt étaient remarquables.

WB : Ne pensez-vous pas qu’il soit un produit de marketing ?

NF : Ce sont deux choses différentes : les pianistes d’un côté et le marketing d’un autre. Ce sont des autres qui font du marketing autour de lui. Je pense qu’il mérite son succès.

WB : Finalement, vous avez sans doute entendu parler du scandale causé par la pianiste anglaise Joyce Hatto et surtout son mari. Qu’en pensez-vous ?

NF : J’avais raison si vous voulez. Une amie m’a fait écouter plusieurs de ses disques, elle m’en avait apporté toute une quantité, j’ai entendu deux ou trois choses et je me suis dit qu’il y avait quelque chose de bizarre. C’était formidable, mais cela ne me touchait pas. Ce n’était pas vivant..L’amie qui me les avait apportés était déçue que je n’aie pas aimé. Je ne suis pas surpris du scandale.. Pourtant, j’ai entendu Feux Follets de Liszt et c’était remarquable. Il parait que je connais le pianiste qui jouait en réalité, Laszlo .... (à vérifier). Je l’ai rencontré autrefois, c’était quelqu’un de très gentil.

WB : Est-ce que cela pourrait être la partie émergée de l’iceberg ? Est-ce qu’il va y avoir plus de disques « fantôme » ?

NF : Cela s’est déjà passé quelques fois avec un disque de Lipatti, où c’était Halina Czerny-Stefanska qui jouait..

WB : Supposons que le mari de Hatto ait utilisé l’un de vos disques, auriez-vous été honoré ou vexé ?

NF : Ni l’un ni l’autre... Toute cette histoire était bizarre. Je me souviens que du temps où j’habitais à Londres à la fin des années ’60 avec Martha, Kovacevich, Barenboim et d’autres, déjà personne ne se souvenait d’elle, personne ne l’avait jamais entendue jouer !

WB :  Merci, Nelson, de votre temps pour répondre à mes questions. Je me réjouis de vous voir et entendre en mai, en fait, le 20, c’est mon anniversaire, donc c’est un bien beau cadeau que vous me faites...

NF : Ah, encore un jubilé alors... !

© Willem Boone 2007

(1) Le concert de jubilé a été assuré par Nelson Freire, Martha Argerich ayant été obligée d'annuler pour des raisons de famille, survenues juste quelques heures avant le concert.

Entretien téléphonique, le 23 février 2021

Parfois on a de ces surprises agréables: le pianiste Vittorio Forte m'a gentiment proposé de m'envoyer son dernier cd '(Re)visions', consacré à des transcriptions, faites par le célèbre pianiste américain Earl Wild. Cela nous a amené naturellement à organiser une entrevue lors de laquelle nous avons parlé plus longuement du phénomène qu'est la transcription, ainsi que d'Earl Wild lui même...

 

Willem Boone (WB): J’ai bien sur quelques questions sur votre cd, c’est un programme très original, c’était autre chose que le énième disque avec Carnaval ou l’Appassionata ou encore Gaspard de la nuit, si beaux soient-ils!

Vittorio Forte (VF) : Oui, absolument, on aimerait tous enregistrer ces choses-là, pas de problème, mais de temps en temps, c’est bien de découvrir d’autres chemins.

WB : Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce cd, c’était l’intérêt que vous portez aux transcriptions ou était-ce un hommage que vous vouliez rendre à Earl Wild ou bien tous les deux?

VF : Les deux, depuis plusieurs années les transcriptions me séduisent beaucoup, parce que selon le type de transcriptions, selon le transcripteur surtout, on a ce plaisir, cette réjouissance de jouer des œuvres qui ne sont pas écrites pour le piano. Quand c’est bien fait, on a l’idée de jouer une œuvre qui a été conçue pour le piano. L’autre jour, je voyais une discussion sur Facebook qui dure depuis des décennies sur la fameuse Chaconne de Bach, transcrite par Busoni. Il y a toujours des détracteurs qui disent que ce n’est pas du tout la même chose que l’original, que cela n’a pas été conçu comme ça. C’est clair, mais le but de la transcription est aussi parfois d’en faire autre chose qu’un arrangement d’un instrument à un autre. Au 19ème siècle, on transcrivait à quatre-mains les symphonies de Haydn ou de Mozart pour pouvoir les jouer dans son salon avec ses amis. Par la suite, c’est devenu un art à part, une façon de composer qui est autre chose, le matériau thématique est déjà présent, mais le génie du compositeur peut s’exprimer tout aussi bien. C’est ce qui fait de Liszt, Busoni et de Wild de grands transcripteurs. 

WB : C’est tout un répertoire négligé qu’on n’entend pas souvent en concert!

VF : Pas très souvent, il y a peu de pianistes qui s’intéressent aux transcriptions : il y a Katsaris qui en joue énormément, il y a assez régulièrement Volodos aussi, et puis Hamelin, ce sont des pianistes actuels qui en jouent pas mal. C’est vrai que jusqu’il y a 30 ou 40 ans, c’était plus rare, seulement la Chaconne et quelques pièces de Bach. 

WB : Bach a souvent été transcrit, par beaucoup de compositeurs! Vous avez écrit que celles de Wild sont particulières, parce qu’elles restent plus près de l’original que celles d’autres compositeurs et vous avez comparé aux transcriptions de Liszt. Je suis d’accord sauf pour le Haendel, la première pièce sur le cd.

VF : Absolument, sur ce disque il y a trois façons différentes de traiter la transcription : la première partie avec les deux pièces baroques, Wild fait de la transcription « à l’ancienne », c’est-à-dire, il reprend l’œuvre, pratiquement telle quelle, et puis il fait les changements de nuances et d’écriture par rapport aux possibilités du piano. Dans le Haendel même le phrasé est pratiquement le même que celui pour clavecin, dans le Marcello, par rapport aux autres, il change de tonalité, do mineur au lieu de ré mineur, sinon c’est absolument la même partition. Ensuite il y a un autre déclic avec Rachmaninov. Avec les mélodies de celui-ci, il essaye de prendre deux chemins parallèles, il y en a un où il reprend l’intégralité de la partition du piano et de la voix et il fait un mixte des deux pour pouvoir créer enfin une œuvre seule. Cela fait que vous avez une partie de la main qui doit jouer le chant, et l’autre partie de la même main qui doit faire une partie de l’accompagnement. C’est la même chose pour les deux mains puisque la partie mélodique est souvent partagée  selon le registre. C’est absolument dans la même veine que ce que Liszt a fait avec les Schubert. Il y a ensuite la question de la construction : dans les Rachmaninov, il fait souvent une seule exposition  comme dans l’œuvre originale, avec l’accompagnement et la voix qui garde les mêmes tonalités, il ne les change pas. Puis parfois, il essaye probablement par esprit d’inspiration, d’exprimer autre chose, il les transforme. Par exemple dans la transcription de «Sorrow In spring time » ou même dans « Floods of spring », il change complètement la texture de l’écriture, il la rend plus orchestrale, certainement plus pianistique. Ce sont des transcriptions qui ont été écrites il y a 30 ou 40 ans, donc c’est récent et on parle d’un piano à 88 touches, des grands Steinway de concerts, il y a des capacités extraordinaires pour transcrire. Effectivement, il change parfois l’œuvre, en gardant l’essentiel quasiment inchangé. Par contre, tout ce qui est autour, c’est un mélange de toutes les influences que Wild a reçues. Il était un fervent admirateur de Rachmaninov. 

S’il a fait ses transcriptions, c’était surtout pour lui rendre hommage, il adorait Gershwin et, les « grands romantiques », ou encore Debussy et Ravel. Dans Gershwin, par exemple, on retrouve les harmonies « impressionnistes ». Toutes ces influences-là ont fait que Wild a utilisé cette évolution du monde pianistique dans la façon de transcrire, jusqu’à ces bijoux, que sont à mon avis les sept études de Gershwin. Là, finalement, il s’approprie la musique initiale, et recrée l’oeuvre. Il connaissait et aimait le jazz, ses harmonies, ses rythmes, et était un formidable improvisateur.  Le sommet de sa manière de transcrire est la grande fantaisie sur Porgy and Bess, qui était malheureusement trop longue pour ce cd. Elle dure 30 minutes, c’est absolument splendide, on a l’impression que le pianiste s’assied au piano en se souvenant de Porgy and Bess, il recrée toutes les harmonies et mélodies et ça part dans tous les sens. C’est d’une virtuosité incroyable, mais à la fois si bien écrit. Ce n’est pas « gratuitement » brillant, Earl Wild ne jouait pas comme ça, toute l’élégance qu’il mettait dans ses interprétations des œuvres du répertoire, il la mettait aussi dans ses transcriptions. 

WB : Mais dans le Haendel justement, est-ce que vous pensez qu’il ajoute beaucoup à l’original? A mon avis, c’étaient des embellissements qui n’ajoutent pas grand-chose à la pièce..

VF : Non, Earl Wild l’a dit quand on l’a interrogé là-dessus, il jouait cela un peu comme la transcription que Rachmaninov jouait, c’est pratiquement la partition originale. Il ne rajoute pas grand-chose, il double quelques octaves, il ajoute des doubles voix parfois en mains croisées, mais cela reste extrêmement respectueux de la partition. Il utilisait souvent cette pièce pour commencer ses concerts, je l’ai utilisée pour ouvrir le disque, comme si on disait : « Voilà, on va entrer dans le monde des transcriptions! «  Celle-ci est très classique, et par le romantisme, on atteint le paroxysme de la transcription et l’improvisation avec « Someone is watching over me ». Et cela se termine avec, en clin d’œil à Wild et à mon précédent disque, avec le Solfeggietto de Carl Philip Emanuel Bach.

WB : Je me suis dit qu’avec le Haendel, ce n’est pas une transcription à vrai dire, puisque l’original a été écrit pour le clavier aussi?

VF : Absolument, c’est plus un arrangement.

WB : Je trouve très beau le Marcello, est-ce que c’est difficile à jouer pour un amateur? Cela me donne envie de jouer!

VF : Non, c’est d’une grande simplicité. Ce qui est difficile, c’est de maintenir ce tempo stable sans maniérismes, puisque on a tendance à vouloir le jouer de manière romantique. Il faut jouer le plus simplement possible en utilisant beaucoup de pédale, ce n’est pas du tout interdit. Il ne faut pas ralentir, car cela donne une impression d’alourdissement.  Il faut le jouer assez lentement, mais de façon égale tout le temps, il faut chercher une grande simplicité. Sinon, ce n’est absolument pas difficile.

WB : Il y a des transcriptions, par exemple la Mélodie d’Orphée de Gluck, par Sgambati, ça a l’air facile, mais moi cela m’a couté! 

VF : Ce n’est pas facile du tout! Cela ressemble un peu à Marcello, c’est légèrement plus difficile pianistiquement, l’écriture de la main gauche dans le Sgambati est plus chargée. Il y en a deux de cette pièce, l’autre est de …

WB : Siloti. Mais celle de Sgambati sonne facile, mais ce n’est pas facile du tout! 

VF : C’est difficile de rendre bien l’accompagnement en double notes, ce n’est pas « virtuose », il n’y a pas d’acrobatie, parce que ce n’est pas rapide. Vous l’écoutez par Nelson Freire, c’est juste divin! Il était l’un des premiers à le jouer, comme Guiomar Novaes. 

WB : Pour les chants de Rachmaninov,  les transcriptions sont très belles, est-ce que vous pensez qu’elles auraient pu être de Rachmaninov lui-même?

VF : C’est une bonne question! Rachmaninov en a fait quelques-unes notamment de ses propres mélodies, et effectivement, c’est un peu le même principe que chez Wild. Il y en a certaines qui sont très littérales, il ne fait que le strict minimum de la transcription pour inclure la mélodie dans l’accompagnement. En revanche quand Rachmaninov transcrit par exemple la Berceuse de Tchaikovsky originairement pour voix et piano, il utilise la texture de sa propre écriture et évidemment cela devient plus riche. Il y a une autre transcription de cette même Berceuse par Pabst, qui est strictement identique à l’originale, ce qui est tout aussi joli d’ailleurs. 

C’est ce que fait Wild dans « Dreams », la première transcription consacrée à Rachmaninov dans mon disque. Il reprend pratiquement la même partition, alors que pour la suivante « Where Beauty Dwells » (dont le titre original est « Zdes Khorosho »),  il change complètement de texture. Il en change aussi la forme avec une double exposition dans deux registres différents. 

WB : C’est vrai, Rachmaninov a fait de belles transcriptions et celles-ci sont presqu’aussi belles! 

VF : On ne peut pas comparer, mais je pense que Rachmaninov aurait été ravi, parce qu’elles sont très respectueuses du style. Wild était un exceptionnel interprète de la musique de Rachmaninov, donc il ne pouvait qu’avoir du respect pour sa musique. Il en a beaucoup transcrit, je n’en ai choisi que sept, mais j’en avais déjà enregistré trois dans un autre disque il y a cinq ans, dont la Vocalise, qui est absolument magnifique. De cette magnifique œuvre vocale, on joue toujours la même version, de Richardson, qui est beaucoup moins intéressante que celle de Wild. Cette dernière est plus riche, plus pianistique, romantique, plus proche de ce que Rachmaninov aurait pu faire lui-même. Pour moi, une transcription doit avoir pour objectif de mettre en valeur certaines qualités qui appartiennent à la pièce et d’autres qui appartiennent à l’interprète. Il y a en a certaines qui sont axées exclusivement sur la virtuosité, la technique à son niveau le plus complexe. Lorsqu’on pense aux Symphonies de Beethoven transcrites par Liszt, le simple fait de jouer « textuellement » au piano la partition réduite, est déjà d’une difficulté que peu peuvent surmonter. 

Cependant, la transcription conçue quasiment comme une improvisation « écrite », a aussi son charme. C’est le cas dans certaines paraphrases de Liszt ou Thalberg, ainsi que dans celles de Wild, notamment des Songs de Gershwin.

C’est ce que j’ai voulu suivre somme exemple pour la courte transcription du Solfeggietto de Carl Philip Emanuel Bach. 

J’aime imaginer qu’il était une sorte de « rockstar », qui improvsait constamment, partant dans des délires incroyables. Personne ne composait comme lui, s’il avait connu tous les courants musicaux qui se sont passés après, il aurait fait du jazz ou de la fusion! C’est quasi certain, car il avait une nature musicale un peu folle, visionnaire,  et partir dans des idées et s’arrêter quand la nuit tombe, était un exercice fréquent pour CPE Bach. C’est pour cela que le Solfeggietto part aussi dans ce sens-là, un peu sans contraintes. 

WB : Je l’ai joué, l’original!

VF : Oui, tout le monde! Il y a pas mal de personnes qui m’écrivent : « Cela me rappelle mes leçons ». C’est une jolie pièce, l’une des premières pièces rapides qu’on apprend, c’est très agréable à jouer. J’ai regardé pour le programme de ce disque s’il n’y avait pas eu quelqu’un qui avait transcrit sa musique pour piano seul récemment. Il y avait un compositeur et pianiste brésilien, il s’appelle Bresilio Itibere, qui a fait une transcription de Solfeggietto, en forme d’ « étude », je l’ai lue et c’était intéressant. Mais à part changer certaines indications de tempo et changer les registres, il n’y a pas tellement d’inventivité. En reprenant cette idée, j’ai suivi les pas de Wild pour « improviser » ma propre transcription. Finalement, c’est un clin d’œil à mon disque précédent et à Wild. Je n’en suis pas mécontent et je pense que ça va bien dans ce programme. Mais il faut la concevoir comme un amusement, rien de plus.

WB : Les études que Wild a composées d’après des chants de Gershwin ont été une première pour moi. Et cette grande transcription, l’avant-dernière pièce sur votre cd, était surprenante,  parce qu’il y avait un thème de la 2ème Partita de Bach que je n’ai pas tout de suite reconnu. On met du temps à reconnaitre un thème quand c’est hors contexte!

VF : Absolument, j’avais peur de l’inclure dans le disque de crainte que cela paraisse comme une parodie. Wild part d’un thème qui est magnifique, « Someone to watch over me », et, à partir de là, il décide de traverser géographiquement et stylistiquement le monde musical. Il y a la cellule thématique du début de cette chanson qu’ il l’utilise de toutes les façons possibles : d’abord en forme de Barcarolle et ensuite en notes répétées faisant apparaitre à la main gauche plusieurs thèmes de chansons où d’airs d’opéras italiens, « O sole mio », « Oh mio babbino caro », le carnaval de Venise, la Turandot, Tosca. Tout cela en deux pages et une seule exposition. Ensuite ce thème est transformé en des rythmes plus modernes : une salsa, pendant quelques dizaines de mesures qui revient à trois reprises et enfin le croisementr avec la deuxième partita de Bach et la deuxième fugue du 1er livre des Préludes et Fugues de Bach, mais toujours avec le matériau thématique de Gerschwin. Finalement, ce qui est assez extraordinaire c’est le foisonnement d’idée! J’avoue avoir eu des doutes, mais c’est tellement plaisant de temps en temps de laisser place à l’instinct.

Nous sommes souvent exagérément exigeants lorsqu’il s’agit du répertoire  fréquemment joué. Et cela peu donner des interprétations qui manquent de personnalité, ou de prise de position. La partition, surtout lorsque le compositeur s’appelle Mozart, Beethoven ou Chopin, peut nous impressionner, alors qu’elle est un support extraordinaire pour faire parler son âme d’artiste. 

Quand je rencontre un pianiste de jazz qui me dit : « Ah, super, mets-toi au piano et joue-moi quelque chose! » à part jouer les œuvres de ton répertoire de concert, tu te dis : « Je fais quoi? Je ne sais pas faire autre chose! » 

Ce sens de la liberté, Earl Wild l’avait! Il a toujours été un grand improvisateur et au niveau digital, il pouvait faire ce qu’il voulait. Finalement, il a joué beaucoup de transcriptions quand il était jeune, et il a évidemment joué tout le répertoire très exigeant techniquement et mis énormément de tout cela dans ses propres compositions. Il a aussi composé des œuvres originales pour piano seul, dont notamment une sonate. Il y a peu de pianistes qui jouent les études d’après Gershwin  en concert. Sauf aux Usa où elles peuvent paraitre même dans des programmes d’examen. 

En Europe, Wild est aussi méconnu comme pianiste que comme compositeur. C’est très triste, parce que c’était un formidable pianiste et ses transcriptions valent la peine d’être apprises et jouées.  Le public les adore, c’est vraiment un rapport gagnant-gagnant pour un interprète qui veut jouer ses transcriptions.  Elles sont difficiles, donc il faut avoir les moyens pour les jouer, mais elles sont tout à fait respectueuses des possibilités d’un pianiste, c’est-à-dire que cela tombe magnifiquement bien sous les doigts… pour les mains qui fonctionnent, bien sûr! On voit bien que c’est un pianiste qui les a écrites.

WB : Et dans la deuxième transcription de Tchaikovsky sur votre cd, est-ce que là il cite un thème de Jevgeni Onegin?

VF : Oui, effectivement. 

WB : Il y a une transcription de Pabst d’après cet opéra que Cherkassky jouait de temps en temps.

VF : Oui, il l’aimait beaucoup.

WB : Wild était un fabuleux transcripteur doublé d’un pianiste virtuose, est-ce qu’on peut dire qu’il était si fort  parce qu’il connaissait les potentialités de l’instrument?

VF : Pour moi, c’est une évidence! Quand on reprend la formule que vous venez de dire concernant Liszt, au-delà du fait qu’il était un exceptionnel pianiste, hyperdoué déjà à la base, et un compositeur de génie, il connaissait très bien l’instrument. Il en connaissait bien les possibilités. A son époque, c’était déjà un instrument qui avait des capacités sonores et mécaniques très importantes. On ne peut pas être transcripteur si on n’a pas de connaissances du piano et de la technique pianistique extrêmement profonde, c’est impossible. On peut faire des arrangements, des réductions, mais faire des transcriptions, des paraphrases, ce n’est pas donné à tout le monde.

WB : Vous avez déjà partiellement répondu à ma question suivante, Stravinsky par exemple n’était pas connu pour être un très bon pianiste, pourtant Pétrouchka n’est pas mal écrit..

VF : Non, c’est vrai, il connaissait bien l’écriture, mais s’il pouvait lui-même le jouer? Cela m’étonnerait. 

WB : Combien de transcriptions Earl Wild a-t-il écrit en tout?

VF : Je ne saurais pas vous dire le nombre exact, mais sur son site web il y a la liste. Il y a aussi des pièces de Fauré, Le Rouet d’Omphale de Saint Saens, 14 mélodies de Rachmaninov, 

WB : Le larghetto du second concerto pour piano de Chopin je pense?

VF : Oui, absolument! 

WB : Quelques Mozart aussi il me semble?

VF : Je ne pense pas, je n’en ai pas le souvenir, j’ai cherché à faire quelque chose d’historique, il me semble que je n’ai rien trouvé de Mozart. Par contre, il a transcrit la Sarabande de la première Partita de Bach, mais ce n’est pas très réussi à mon avis. Il l’a appelée « Hommage à Poulenc », il faut l’aimer, j’ai essayé, mais je n’ai pas accroché, donc je ne l’ai pas enregistrée.  Par contre, j’aurais bien voulu intégrer Après un rêve de Fauré, parce que c’est une très belle transcription. 

WB : Vous avez déjà parlé des transcriptions de Liszt, il en a beaucoup écrit et dans certaines d’entre-elles, il se met admirablement au service de l’original, par exemple j’aime beaucoup le Prélude et Fugue d’après l’œuvre pour orgue de Bach. J’en ai récemment parlé à Philippe Cassard à propos de son enregistrement de la neuvième Symphonie de Beethoven pour deux pianos, mais là je me suis dit quand Liszt transcrit des symphonies de Berlioz ou de Beethoven, est-ce que c’est aussi réussi que cela, parce que je pense que le piano est un instrument qui n’arrive pas très bien à rendre les différents timbres d’un orchestre et ça fait un peu pauvre à mon avis.

VF : Si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce que Philippe a répondu? Parce qu’il a quand même enregistré cette symphonie?

WB : Je ne sais plus exactement quelle était sa réponse, mais en gros il a dit que Liszt est resté très fidèle à l’original et qu’il avait même marqué dans la partition quel instrument jouait dans la symphonie originale. Je pense qu’il n’a pas mal pris ma question! Quand il prend les transcriptions des symphonies de Beethoven par Liszt, cela ne fonctionne que dans les mouvements lents, mais dans les mouvements rapides, cela fait un peu…

VF : ..pauvre! 

WB : Est-ce qu’un piano peut rendre tout un orchestre je me demande? 

VF : Franchement, je ne sais pas! Liszt excelle lorsqu’il fait des paraphrases. Quand il paraphrase une œuvre, il va extrêmement loin et là, on est dans la réjouissance de jouer, car on a l’impression de jouer une œuvre originale.  Lorsqu’il transcrit des symphonies, et qu’il prend le parti de ne pas paraphraser, c’est quasiment impossible d’en rajouter, il y a déjà tellement de notes dans la version originale, on peut ajouter des effets, mais on ne peut pas ajouter de notes.  Sinon, cela devient injouable. Dans les paraphrases, il ajoute des éléments nouveaux, c’est ce que Wild a fait pour certaines œuvres, il transcrit en gardant le fil conducteur harmonique de l’œuvre, mais il transforme tout cela. C’est le cas des transcriptions de Godowsky aussi. Il y a des paraphrases plus réussies que d’autres, j’estime que Norma, les réminiscences de Don Juan, Tannhäuser sont très intéressantes. Même la transcription de la Danse Macabre de Saint Seans si on arrive à la jouer dans le bon tempo ou l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, ou encore le Lacrymosa et le Confutatis du Requiem de Mozart sonnent merveilleusement bien. Je préfère à a limite entendre la 1ère ou la 2ème symphonie de Beethoven, transcrite par Liszt pour piano seul, plutôt que la 5ème ou la 9ème. Ce sont des monuments colossaux dans leurs versions originales et quand on entend le début de la 5ème au piano, même quand c’est bien joué, on peut être frustré à l’écoute. C’est différent avec une transcription pour piano seul d’une œuvre pour voix, violon, violon et piano, trio, jusqu’au quatuor disons, on peut avoir une transcription qui reste respectueuse du texte et à la fois arrive à donner quelque chose d’original dans sa façon d’être transcrite. Mais lorsqu’on va à l’orchestre, cela devient extrêmement difficile pour des questions de timbre : même si on peut imiter une trompette au piano, quand on mélange des tutti sur un piano… c’est du piano! 

WB : En effet! Est-ce qu’à priori une transcription d’une chanson n’est pas plus réussie que celle d’une pièce orchestrale?

VF : C’est probable! Il y a d’autres personnes qui ont transcrit les symphonies de Brahms, au-delà du fait que c’est quasiment injouable, cela ne fonctionne pas. Il y en a de la 40ème symphonie de Mozart, c’est sympathique à jouer, mais cela ne marche pas non plus. Il nous manque trop les cordes! J’estime que le piano est un instrument chantant, donc quand on veut transcrire du chant, on peut réussir le mieux, c’est d’ailleurs ce qu’a fait Liszt dans sa totalité des transcriptions, il y a presque toujours du chant dedans. 

Mais il n’y a pas de règles, car les transcriptions de Godowsky d’œuvres orchestrales de Strauss, par exemple, si on considére qu’il s’agit là de métamorphoses, c’est-à-dire de transformation totale de l’œuvre originale, notamment harmoniquement. On a le thème qui est d’une difficulté pianistique extraordinaire et on a affaire à quelque chose de très riche et bien écrit, pareil pour Romeo et Juliette de Prokofiev. Ensuite, les ballets de Tchaikovsky, transcrits par Pletnev sont très réussis aussi. 

WB : Et que pensez-vous de la transcription de Liszt de la Mort d’Isolde? J’ai parlé à France Clidat qui m’a dit que c’était la plus belle transcription qui soit!

VF : Elle est magnifiquement écrite, quand c’est bien joué, on entend véritablement la profondeur expressive de l’œuvre, après quand vous êtes vraiment admirateur de la musique de Wagner, vous pouvez y voir un hommage de la part de Liszt, mais cela ne vous suffira pas. Par contre, pour un pianiste, c’est jouissif! C’est la même chose pour la Chaconne de Bach/Busoni, c’est jouissif, ce serait dommage de s’en priver, donc je la joue régulièrement et les critiques à son sujet ne me gênent pas. Busoni lui-même était conscient qu’il ne voulait pas faire un arrangement d’une pièce pour violon au piano, il voulait faire une pièce de concert. Dans une lettre à son ami Eugène d’Albert, il dit bien « Je pense que si Bach avait pu envisager écrire cette pièce pour d’autres instruments, il aurait choisi des instruments puissants, comme l’orgue. » C’était son opinion et c’est pour cela qu’il a écrit sa transcription de cette façon-là. Si on ignorait la version pour violon seul de Bach, on n’aurait eu aucun problème avec la version de Busoni.

WB : J’ai quelques questions sur Earl Wild lui-même, quel était votre rapport avec lui? Est-ce que vous l’avez connu ou rencontré?

VF : Malheureusement pas, non. Il est décédé en 2010, la dernière fois qu’il a joué en France était en 2008. A part ses enregistrements, je ne le connaissais pas, mais j’étais toujours intéressé par ces pianistes « hors-circuit ». Il est venu en Europe tellement rarement, il est venu à Amsterdam en 2005 je crois.

WB :Oui, je l’ai entendu deux fois au Concertgebouw et une fois dans la ville que j’habite, Utrecht. Je l’ai entendu trois fois en tout, la première fois, il avait déjà 76 ou 77 ans, puis il est venu quelques fois après. J’ai l’impression qu’en Europe, il n’était pas du tout connu!

VF : C’est incroyable! Il n’a jamais enregistré pour de grandes maisons de disques, alors que pour certains, il fait partie des dix plus grands pianistes américains. 

WB : Oui, mais même en Amérique, je n’avais pas l’impression qu’il était aussi connu que Rubinstein ou Horowitz!

VF : Non, là on parle de très grandes stars! Il faut plutôt prendre l’idée de pianistes comme William Kapell, Gina Bachauer,Van Cliburn qui étaient quand même connus et qui connaissaient une belle carrière aux Etats Unis, mais cela n’atteignait pas les grandes carrières de Rubinstein, Horowitz, Arrau, Backhaus. A ce niveau-là, on ne compare plus, ce serait même stupide de dire qu’Horowitz était meilleur que Rubinstein. J’ai lu pas mal de choses sur Wild, maintenant j’ai l’impression de l’avoir connu. Je lisais par exemple que lorsqu’il avait donné un concert à la fin de sa vie à New York, il avait reçu une critique pas très sympathique disant que « s’il n’avait pas été plus célèbre que cela, c’était à cause de son irrégularité », car, apparemment, il était capable de jouer lors d’un même concert une œuvre comme jamais on ne l’avait entendue, une sorte de révélation absolue, et puis de passer l’autre moitié du concert à jouer avec des trous de mémoire et des erreurs. Mais on parle là d’un concert donné à 90 ans!

WB : Oui, je me souviens aussi. J’ai entendu son concert quand il a fêté ses 90 années à Amsterdam et j’ai lu des histoires que l’agent est allé le chercher à l’aéroport et qu’il a un choc pas possible de le voir dans une chaise roulante. Je pense qu’il était déjà partiellement aveugle d’un œil, on a eu peur quand cela ne marchait pas très bien lors de la répétition, mais lors du concert cela a bien marché. Je me souviens de trous de mémoire aussi dans les ballades de Chopin où il y a eu des motifs que j’ai entendus deux ou trois fois.. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’était sa sonorité dans la 7ème sonate de Beethoven, ce n’était pas du tout frêle pour un monsieur de 90 ans, c’était bien puissant! 

VF : Après, la question est toujours la même, il y a des pianistes qui arrivaient à jouer de manière extraordinaire à un grand âge, il y a l’exemple de Horszowski, Cherkassky ou Ciccolini. Il y a aussi une forme de légende qui se crée maintenant concernant les pianistes très âges; on se dit à chacune de leurs apparitions sur scène, que ça va être un évènement historique! Et, malheureusement, ce n’est pas toujours le cas!

WB : Il y a encore pire, pour un pianiste, cela peut être douloureux, mais je pense à un artiste qui vient de nous quitter, le violoniste Ivry Gitlis. Il jouait encore à 95 ans et c’était archi-faux, je croyais être le seul à souffrir! C’était d’une laideur pas possible et dans les commentaires sur YouTube je lis comme c’est émouvant…

VF : Il ne pouvait plus jouer à cause d’un problème de dos, il me semble. Physiquement parlant, c’est impossible de jouer du violon avec le dos vouté. Tous les violonistes cherchent l’élévation pour pouvoir jouer; je l’ai entendu pour ses 90 ans à Bruxelles, il jouait Kreisler et c’était à son image. Il a joué avec Vengerov, qui était à côté de lui, ils se passaient la « parole », avec Argerich au piano. C’était émouvant!

WB : Je l’ai entendu dans la sonate de Franck quand il avait 82 ans et honnêtement, je n’ai pas entendu plus laid que cela dans ma vie! C’était une souffrance pas possible!

VF : Alors que c’était un grand violoniste! Qui pouvait faire pleurer un violon!

WB : Retournons à Earl Wild! Il a côtoyé du monde!

VF : C’est extraordinaire, il a joué devant six présidents! Il était aussi l’un des premiers à jouer à la radio, à la télé, et aussi sur le …web! 

Beaucoup de « premières », c’était lui! Mais on l’a quand même beaucoup ignoré et il a presque du créer son propre label pour faire des disques. Je ne sais pas ce qui s’est passé, je crois qu’il  n’avait jamais joué à Paris. Je sais qu’il avait deux récitals apparemment magiques à Bordeaux et à Angoulême. 

Je regrette que dans le monde musical il y ait quelques stars qui passent partout et que finalement on donne peu de chances à d’autres musiciens de s’exprimer sur les mêmes scènes sous prétexte qu’ils n’ont pas la même notoriété. 

WB : J’ai encore quelques questions sur Carl Philip Emanuel Bach : je sais que vous le défendez beaucoup et je pense que parmi les fils de Jean Sébastien, c’est bien lui, le plus connu et le plus original, mais j’ai pas mal de problèmes avec ce compositeur, je vous dis ouvertement que sa musique m’agace! J’ai fait mes devoirs : j’ai regardé un film de vous sur YouTube où vous jouez une Fantaisie et je me dis que ça part dans tous le sens, c’est capricieux, que diriez-vous pour me convaincre?

VF : Je n’ai pas forcément envie de vous convaincre! Je peux comprendre, sa musique m’a surpris aussi. Cela dépend de comment on se positionne. Il faut bien séparer le C. Ph. E Bach des concerti et sonates versus le C. Ph. E. Bach des fantaisies et rondos, car ce n’est pas du tout le même processus de composition. Dans les sonates, il garde un fil conducteur, thématiquement et harmoniquement, c’est très bien écrit et évidemment structuré. Dans les fantaisies, c’est de la musique expérimentale, donc il faut l’écouter comme si c’était une sorte de mémorandum, un cahier de conseils pour les compositeurs à venir. Par exemple, si vous prenez une idée de quatre mesures dans ces œuvres de C. Ph. E Bach, vous trouverez cette même idée plus ou moins élaborée chez Mozart ou Haydn. Vous prenez une cadence chez CPE Bach, vous trouverez la même cadence dans un concerto de Beethoven, écrite de la même façon. Finalement, pourquoi il a mis sur papier ces œuvres, c’est difficile à dire, je pense vraiment qu’il s’asseyait devant son instrument et il improvisait, il avait le cahier devant lui, et il écrivait . A mon avis il peaufinait après, c’étaient des idées qu’il lançait sur le papier et cela donne cette impression de démesure. Dans mon disque C. Ph. E Bach, il y a deux pièces « Abschied » et les variations sur « la Folia », qui ont une structure plus formelle donc moins abrupte. 

WB : J’en ai parlé au fortepianiste Andreas Staier…

VF : Il a été mon enseignant pendant quelques années avec qui j’ai pu préparer mon tout premier disque. Qu’est-ce qu’il vous a dit?

WB : Je lui ai dit aussi que j’avais du mal à écouter cette musique et il m’a dit qu’il comprenait et qu’ « elle avait été composée pour agacer. Il écrivait rarement de belles mélodies, parce qu’il y était allergique ! »

VF : Ce n’est pas faux! Par contre, quand vous écoutez « Abschied », c’est vraiment très beau.

WB : Il a comparé à Beethoven qui lui aussi a écrit de la musique sans le but de vouloir plaire à qui que ce soit!

VF : Peut-être, c’étaient des instruments différents, des époques différentes. Pour Beethoven, je ne sais pas, il avait besoin de reconnaissance, est-ce que vraiment il n’a pas voulu plaire? Il n’a peut-être pas cédé à trop de compromis, quand on écoute le Beethoven des premières sonates et le Beethoven de 20 ans plus tard, on se rend bien compte que dans un premier temps lui aussi, il a voulu prendre le même chemin de tous les autres. Mais cette posture-là ne lui allait probablement pas bien et c’est pour cela qu’il s’est probablement décidé à emprunter d’autres chemins. Peut-être que Carl Philip Emanuel Bach s’affichait complètement pour agacer, mais je ne crois pas qu’un compositeur, n’importe quel compositeur, de toutes les époques, ait pu écrire de la musique sans avoir le souci de ce que l’auditeur allait penser. 

WB : Staier m’a dit aussi « Quand il vous irrite, il faut se dire qu’on écoute Beethoven! »

VF : Ce n’est pas mal! C’est un peu ce que je vous disais, comme beaucoup de compositeurs après ont pris exemple sur Carl Phillip Emanuel Bach, je pense qu’on peut se dire : « Ah, tiens, là, on dirait Mozart ou Haydn! » Il y a des pianistes, sans parler de la critique, qui n’aiment pas Brahms, alors que ça semble quand même incroyable. 

WB : Un dernier commentaire de Staier sur C. Ph. E Bach : « Il a écrit de la musique pour musiciens, c’est-à-dire, certaines musiques peuvent être comprises en les jouant comme l’Art de la fugue, certaines blagues fonctionnent que quand on les joue et elles marchent moins pour les auditeurs. » Êtes-vous d’accord?

VF : C’est joli! Le fait que ce soit écrit pour des musiciens vraisemblablement oui, après les amateurs de l’époque étaient de très bons musiciens en général, il n’y avait pas de concerts dans le temps. La musique était écrite pour des gens qui connaissaient déjà bien la musique et même qu’ils connaissaient bien l’instrument. Il n’y a pas beaucoup d’enregistrements de cette musique et lorsque j’ai acheté l’intégrale, la seule qui existe sur piano, j’ai été très surpris moi aussi et je me suis dit : « Tu es sur que tu veux faire cela? » Et puis finalement, j’ai mis les doigts dessus et on a l’impression de s’amuser, parfois même de réécrire des choses : vous jouez, vous êtes en train de faire une mélodie, vous faites huit mesures superbes et tout d’un coup, il y a une cadence et on ne sait pas où on va! On part sur d’autres choses, c’est vrai ce que vous dites, mais si on prend les éléments un par un et quand on les transpose dans un autre monde musical, je pense qu’on peut trouver de l’intérêt. C’est pour cela que je pense que c’est presqu’un cahier de conversation musical qu’il a créé pour faire un lien entre l’époque de son père avec laquelle il a voulu rompre, et celle de Haydn, qui s’inspirait le plus de C. Ph. E. Bach. Sans oublier bien sûr Mozart et Beethoven.

WB : Je pense qu’il était beaucoup plus connu de son vivant que maintenant, n’est-ce pas?

VF : Je crois qu’il était plus admiré de son vivant que maintenant. Sa musique est devenue rare, sauf parmi les violoncellistes, autrement sa musique pour clavier est très rarement jouée. 

WB : Il a énormément écrit pour le clavier!

VF : Oui, c’est incroyable, le nombre de choses qu’il a écrites est exceptionnel. Il y a quatre volumes entiers de rondos, fantaisies et sonates. C’est plus que Beethoven et nettement plus que Mozart.

WB : Cette intégrale dont vous parliez comprend combien de cd? Ce doit être un gros boitier!

VF : 26 cd, c’est impressionnant. C’est une pianiste croate qui a tout enregistré. Évidemment, il y a des choses très bien et des choses moins bien. J’aime bien sa musique, mais je ne vais pas me lancer dans l’intégrale, ce serait une folie!

WB : Il y a un autre compositeur dont vous avez parlé sur Facebook : Clementi.

VF : Pour moi, Clementi c’est autre chose!

WB : Quel est selon vous son rôle dans la musique?

VF : Il a eu à la fois la bonne idée, de son vivant, mais la mauvaise idée, pour la postérité, de faire un triple  métier: le fait de s’intéresser pas mal aux affaires et à l’argent a fait que par rapport à tous les autres compositeurs de son époque il a pu vivre de manière assez privilégiée. C’est paradoxal. A croire qu’il faut être pauvre et en souffrance pour être reconnu ! On ignore beaucoup de choses de son œuvre, on ne sait même pas ce qu’il a fait. Certaines se sont perdues pour différentes raisons et puis finalement, on résume son œuvre à une douzaine de sonates qui sont vraiment de facture exceptionnelle et proches des grandes sonates de Beethoven au niveau de la réussite, du style, de la composition à l’égard de ce qui pouvait se faire sur les pianos de l’époque. S’il n’y avait pas eu Mozart et Beethoven, Clementi serait probablement devenu l’un des plus grands compositeurs du 19ème siècle. Mais quand vous avez affaire à de tels génies, c’est impossible. Clementi a traversé les deux compositeurs : il est né avant Mozart et il est mort après Beethoven. On attend d’un compositeur que s’il ne peut pas faire mieux qu’il puisse faire plus. Je suis un admirateur profond de la musique pour piano de Clementi, peut-être des trois compositeurs Mozart, Beethoven et Clementi, c’est le seul qu’il connaisse vraiment bien les instruments à claviers. Ses 100 études sont une réussite absolue, même s’il faut avoir envie de les travailler! 

WB : C’est de Gradus et Parnassum que vous parlez?

VF : Absolument! Après il a fait un tas d’autres études, car il était un grand pédagogue. Cela montre à la limite qu’il est plus proche de Czerny que de Beethoven ou Mozart. Il a ce côté pédagogique, un peu expérimental, un peu grand compositeur « J’essaye de faire des concerti et des symphonies », mais finalement il s’est bien intéressé aux jeunes, les futurs pianistes. Czerny est négligé aujourd’hui, car on imagine qu’il s’est dédié exclusivement aux études et exercices, mais ce n’est pas vrai et Clementi dont on ignore la beauté de son œuvre pour piano. Ses sonates sont vraiment magnifiques, je dirais que les trois-quarts d’entre-elles méritent d’être jouées et enregistrées! C’est dommage que les pianistes ne puissent pas s’intéresser à tout, mais parfois j’ai l’impression qu’ils ne s’intéressent à rien…

WB : J’ai encore un dernier sujet que j’aimerais aborder avec vous : hier, j’ai vu un film sur YouTube du pianiste Leif Ove Andsnes qui parle à un spécialiste de cerveau qui a examiné le cerveau du pianiste. Il a fait des constats intéressants : le corpus colosum qui relie les deux hémisphères du cerveau est plus épais chez les musiciens que chez les non-musiciens! Il a précisé que c’est chez des musiciens qui ont étudié près de 25.000 heures et ce n’est que là que c’est visible, donc cela nécessite beaucoup de travail. Ce spécialiste a posé quelques questions au pianiste et cela me parait intéressant de vous poser les mêmes : la première serait : à quel âge avez-vous commencé le piano?

VF : A 9 ans.

WB : Combien de temps a-t-il fallu avant de maitriser la coordination des deux mains?

VF : Très rapidement, une petite année!

WB : Est-ce que vous progressez toujours en termes de technique ou avez-vous atteint une sorte de plafond à l’âge de 20 ans?

VF : Non, je continue toujours, il y a des choses qui s’améliorent. D’autres moins, mais il y a certains plans sur lesquels je pense que cela s’améliore.

WB : Qu’est-ce qui ne progresse pas, parce que vous avez dit « d’autres moins »?

VF : On est tellement dans une recherche intellectuelle, je suis encore assez jeune, je suis à la moitié de mon parcours, mais disons quand j’étais plus jeune, je pouvais jouer « sans crainte » les études de Chopin, Liszt et Scriabine ou Prokofiev, cela ne me dérangeait pas. Maintenant je me pose beaucoup de questions, trop de parasites intellectuels viennent gêner le choix du répertoire. Je fais partie de ces pianistes qui sont toujours dans la recherche, la curiosité, l’expérimentation en fait : je prends beaucoup de notes sur ce que je fais, j’essaye de mieux comprendre le fonctionnement mécanique et gestuelle pour l’obtention d’une sonorité. Oui, globalement, cela continue de progresser.

WB : Est-ce que vous avez toujours un régime technique?

VF : Oui, je fais un peu de technique parfois, comme on fait le gonflage des pneus d’une voiture! Si on n’en fait jamais plus à partir du moment où on commence à donner des concerts, je pense que nous perdons en précision. Travailler la technique pure, se concentrer sur les questions mécaniques et physiques permet d’être focalisé vraiment sur cet objectif-là. C’est très important, parce qu’après il faut pouvoir transférer cet objectif purement mécanique en objectif musical, donc le traduire en sons. Aujourd’hui on dispose de cahier d’exercices et d’ouvrages sur la technique, qui sont très bien écrits avec des choses très belles à jouer aussi en concert, cela permet de rééquilibrer les choses. Il faut le faire de temps en temps!

WB : Leif Ove Andsnes a dit quand il y a un jour où il n’a pas travaillé son piano qu’il sent qu’il manque quelque chose, c’est la même chose pour vous?

VF : Un jour il a dit? C’est incroyable,  pour moi c’est tout à fait le même sentiment. 

WB : Donc vous travaillez tous les jours?

VF : En effet; lorsque je m’arrête plusieurs jours je sens que ça ne va pas! 

WB : Ils ont parlé aussi de l’importance de l’oreille, est-ce que vous entendez des différences dans des sons qui sont clairs pour vous mais pas pour d’autres?

VF : Non, pas vraiment, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question du docteur?

WB : Ils ont fait la différence entre un pianiste et un violoniste : pour un pianiste, il y a plus de notes dans un accord, on entend d’une manière différente!

VF : Oui, mais en même temps, le violoniste cherche la justesse de son son, pendant toute sa vie, chose que nous, on n’a pas à faire! Finalement c’est lui qui développerait peut-être plus son oreille qu’un pianiste? Pour les pianistes, c’est  plutôt la maitrise des paliers sonores, la gestion des registres, la coordination sonore, alors qu’un violoniste doit vraiment chercher un son, son oreille est le premier juge. Le grand danger pour les pianistes est de ne pas s’écouter assez.

WB : Le docteur a dit aussi qu’il y a une difficulté d’écouter des sons qu’on produit et on pense déjà à ce qui va venir..

VF : C’est une vérité, pour moi c’est une façon très utile de travailler, notamment quand on apprend une pièce par cœur, quand on doit jouer avec d’autres instrumentistes ou avec orchestre, c’est un travail qui devient automatique lorsqu’on le fait régulièrement. Le réflexe se ralentit quand le temps passe ou lorsqu’on est resté un certain temps sans travailler. 

WB : Andsnes a dit qu’un maitre focalise sur des séquences de longues lignes, plutôt que sur la production de quelques sons!

VF : Absolument!

WB : Il a fait une remarque intéressante : on ne joue pas seulement d’un instrument, mais d’une certaine façon, on joue aussi « de la salle », l’acoustique.

VF : C’est le grand problème pour nous, plus que pour d’autres, puisque nous abordons un nouvel instrument à chaque fois. Donc, c’est doublement difficile pour le pianiste, puisqu’ il doit s’adapter au piano ET à l’acoustique. Quand elle est vraiment mauvaise et quand on a un très bon piano, finalement c’est regrettable, ça ne sert presque à rien d’avoir un très bon piano dans une très mauvaise acoustique. On s’adapte évidemment, mais le plus important pour un instrumentiste ce sont les conditions dans lesquelles on joue. Vous avez le meilleur piano du monde, vous jouez dans un endroit où il y a trop de réverbération, vous ne pourrez pas faire quelque chose d’intéressant dans un répertoire romantique ou tardif, c’est joué d’avance! C’est la même chose pour une acoustique très sèche, c’est probablement plus facile au niveau musical de s’adapter à une acoustique sèche, mais techniquement, c’est plus difficile.  On a plus tendance à forcer, parce qu’on a l’impression que le piano ne répond pas à nos sollicitations. 

WB : Et puis le docteur a dit quelque chose d’intéressant : le musicien est souvent plus jeune que son vrai âge! Il parait que le contact avec la musique rendu plus jeune …

VF : En effet, c’est rare de trouver un musicien « vieux »!

WB : Le spécialiste avait examiné l’âge d’Andsnes et il avait trouvé qu’en musique il avait quatre ans de moins que dans « la vie », cela fait quand même une différence. Mais il a ajouté que le stress est très dangereux et menaçant, cela fait vieillir. Quelle est votre manière d’y faire face, car ce doit être un métier stressant?

VF : Normalement la vie d’Andsnes doit être stressante, car il joue trois fois par semaine! C’est clair que c’est un stress beaucoup plus important pour des pianistes avec une carrière mondiale que quand on fait une trentaine ou quarantaine de concerts par an, comme moi! Vous avez du stress, c’est certain. Je pars du principe que j’ai toujours voulu faire ça. J’ai choisi très tardivement de faire cette carrière, mais une fois que je m’y suis consacré, je me suis battu pour y arriver. Personne n’a cru en moi durant mes années d’études, donc il a fallu s’accrocher et aussi faire face au stress du jugement. 

Alors je me suis souvent dit : « Tu voulais faire ça, c’est acceptable qu’il y ait un minimum de trac, mais tu vas l’amener avec toi sur scène, et tu vas l’utiliser à bon escient » Je pense que la plupart du stress pour l’interprète vient du fait de jouer par cœur. Est-il réellement possible que notre esprit ne s’échappe pas tout au long d’un récital? Cela engendre des peurs, la crainte que la structure de tout notre travail pour l’accomplissement d’une interprétation s’écroule à cause d’un problème de mémoire. Je n’ai pas entendu de grand pianiste qui n’avait pas un moment de doute. Il faut finalement accepter les erreurs, c’est lorsqu’on accepte cela qu’on va avoir moins de stress! Mais il faut d’abord accepter, que l’on ne puisse pas être parfait. 

WB : Est-ce que vous êtes conscient de ce que vous faites où est-ce qu’il y a des moments où vous êtes entrainé par la musique?

VF : C’est justement là tout le problème! Des fois je me laisse entrainer par la musique, j’essaye de garder toujours un contact avec la réalité, qui va changer lors du concert, et cela qui va créer des moments plus ou moins « magiques ». Quand on est systématiquement dans la maitrise et quand on a un peu de mal à se lâcher, on sort du concert en se disant qu’il manquait quelque chose. C’est ce qui rend un concert live extraordinaire car il y a une ambiance qu’on ne retrouvera que rarement dans un enregistrement. 

WB : Est-ce que le sentiment qu’on peut rater donne beaucoup d’importance au moment?

VF : Malheureusement oui et c’est terrible chez les musiciens. La peur de rater ou de se tromper est incroyable. Un champion de tennis peut perdre un match et très bien jouer deux jours plus tard gagnant le match sans problème. Lorsqu’on est pianiste, lorsqu’on se trompe, on a l’impression qu’il y a tout un monde qui s’écroule. En fait, ce n’est pas vrai, mais c’est peut-être dû aux nombreuses incertitudes vis-à-vis de notre métier et le fait qu’on soit obligé de travailler constamment. Quand on travaille beaucoup pour finalement arriver à s’exprimer pendant une heure et demie, on a envie que ce soit à la hauteur de tout le travail qu’on a derrière soi. C’est pour cela que la peur monte et le stress se présente. Un chanteur d’opéra sait que si « LA note » n’est pas juste tout le monde va se retourner contre lui. C’est Michelangeli qui a dit que nous portons cinq tonnes de poids sur nos épaules. Cela le faisait d’ailleurs beaucoup souffrir, il était très stressé, on ne le remarquait pas, mais il était vraiment sous l’emprise du trac quand il jouait. 

WB : Est-ce qu’il y a une mémoire rien que pour la musique, parce que ce médecin a parlé de patients d’Alzheimer qui ne reconnaissent parfois plus leur frère ou sœur, mais ils se souviennent bien de chansons d’enfance ou ils savent encore chanter et jouer d’un instrument?

VF : J’en ai parlé à un ami neuro-chirurgien qui m’avait dit que désormais toutes les recherches disent qu’une manière de ralentir ou même empêcher Alzheimer c’est effectivement d’éduquer son cerveau aux arts en général, et en particulier la musique. On n’a pas encore découvert précisément comment interagissent différents zones du cerveau lorsqu’on joue, apprend ou écoute de la musique, mais on va bientôt y arriver. A partir de là, on aura une possibilité de mieux envisager les choses et de mieux gérer notre stress. La mémoire musicale est un peu particulière, certains ont fait le regroupement entre la mémoire mathématique et musicale.

WB : Une dernière question : c’est Martha Argerich qui a dit que la technique d’un pianiste, c’est sa sonorité. Il y a eu une discussion sur Facebook, cela m’a fait réfléchir. Cela m’intrigue beaucoup, mais d’après moi, ce sont deux choses très différentes : technique et sonorité.

VF : Non, je suis 100% d’accord avec elle! Il faut comprendre la chose de façon subtile : en fait la technique est dictée par la sonorité, d’où d’ailleurs l’intérêt de bien s’écouter. Si notre quête est la « juste » sonorité, nous allons mettre en œuvre un ensemble de choses, pour faire en sorte d’obtenir cette sonorité. Lorsqu’on va chercher à produire tel son dans telle œuvre, on va donner moins d’importance à la résolution technique d’un problème, mais le faire passer par le filtre de la musique. Argerich est l’une des premières à avoir exploité à bon escient cette théorie, sachant qu’il y a en elle un instinct indescriptible, quelque chose qui serait de l’ordre de la métaphysique, une symbiose entre les quatre éléments, mais en musique.

Aujourd’hui, c’est devenu quasi normal je dirais, de trouver des pianistes avec une technique époustouflante et le niveau pianistique a atteint de sommets. 

Y-a-t-il en revanche des véritables « pattes sonores »? La réponse est moins évidente. 

Mais peu importe, aujourd’hui pour les mélomanes c’est une chance inouïe d’avoir tant de merveilleux pianistes partout dans le monde, qu’on découvre au gré du scrolling sur les réseaux sociaux et à internet plus qu’aux médias, qui par ailleurs tournent souvent autour des mêmes noms. La « musique classique », malgré ce qu’on peut parfois penser, se porte très bien, et après l’année qu’on vient de vivre, je crois que les musiciens vont dégager une force expressive découplée au moment des retrouvailles avec le public.